Une des lois fondamentales du vivant est le rapport du un au multiple et vice versa. On pourrait parler de paradigme. Mais dans quelle mesure en est-on conscient dans la praxis ? Prenons un exemple : on parle d’une supposition alors qu’il faudrait parler, au pluriel, de suppositions. Il nous semble nécessaire de faire toujours apparaitre une certaine forme de multiplicité quand on passe du général au particulier.
Etre seul ou être membre d’un groupe, cela correspond à deux statuts respectables. Mais il faut savoir où l’on se situe et l’assumer pour le meilleur et pour le pire. Le problème, c’est que le système politique dominant ne tient pas compte de cette dualité, qui est aussi une symbiose de deux populations, l’une qui a vocation à assumer des positions solitaires et l’autre des positions grégaires, sachant que le groupe qui se place dans la diversité et la multiplicité est tributaire de personnages incarnant l’unité voire l’unicité. On nous accordera que l’unité propre à un groupe est d’un ordre différent de l’unité propre à un individu et qu’il est du domaine de la gageure pour un groupe de s’affirmer uni. Et d’ailleurs, il ne peut l’être qu’au regard d’une matrice commune et non au regard d’actions forcément diversifiées et fonction de toutes sortes de contextes.
Il est important que notre société admette que ce qui fait son unité relative dépend d’un petit nombre de personnes qui rayonnent sur un grand nombre de personnes. Ce qui pose, on l’a dit dans un précédent texte, le problème des rapports entre minorité et majorité. On ne peut pas confondre en une seule et même structure, sur le même plan, dans le même sac, ceux qui sont des facteurs d’unité et ceux qui sont des facteurs de complexité et de diversité tout en dérivant peu ou prou des premiers. On pense à la division ancienne prérévolutionnaire en trois Etats, noblesse, clergé, et « tiers Etat » qui se réunissaient périodiquement en « Etats Généraux », dont les derniers eurent lieu à la veille de la Révolution de 1789, convoqués par le roi (Louis XVI).
Or, force est de constater un certain dysfonctionnement qu’il convient de diagnostiquer à savoir le refus et le rejet du modèle de l’un et du multiple ou si l’on préféré l’idée selon laquelle le groupe minoritaire serait déterminé par le groupe majoritaire, porteur, selon Jean-Jacques Rousseau, de la « souveraineté », dans le cours du XVIIIe siècle. Selon nous, si l’on peut admettre, comme nous l’avons suggéré dans un précédent texte, que le groupe majoritaire puisse faire son choix au sein du groupe minoritaire, il ne peut en aucun cas influer sur le contenu du dit groupe. C’est comme pour un jury, il peut élire telle ou telle personne parmi les candidats mais il ne décide pas de qui sera candidat.
Mais comment, nous dira-t-on décider qui appartient au groupe minoritaire et qui appartient au groupe majoritaire ? La réglé générale est que les hommes sont prioritairement concernés par le premier groupe et les femmes par le second, tout en précisant que chaque groupe devrait avoir un droit de regard sur l’autre. Il y a en effet des critères de validation à faire intervenir dans un deuxième temps en raison notamment de certaines déviances possibles. Force aussi est de constater que les hommes sont beaucoup trop nombreux ou si l’on préféré que les femmes ne le sont pas assez encore qu’il convienne, éventuellement, d’inclure à terme, certaines catégories de machines dans le second groupe, (cf. Thierry Hoquet. Cyborg philosophie. Penser contre les dualismes, Ed. Odile Jacob, 2011) voire d’animaux.
En fait, il nous semble que chacun des deux groupes n’a pas été correctement préparé dans l’enfance à assumer et à assurer son statut en raison de toutes sortes d’arrière-pensées « progressistes », voulant remettre en question un certain statu quo. Et l’on pourrait le dire tant concernant la famille que l’école « mixte ». Tout se passe, en vérité, comme si le statut de celui qui est dans le multiple n’était pas jugé aussi désirable que celui qui concerne le « un ». En fait, il semble bien que la balance pencherait plutôt vers l’idée que tout le monde se place dans le deuxième ensemble, celui du multiple et que le premier ensemble ne concerne pas tant des personnes que des institutions (cf. notre précédent article) à commencer par l’Etat. D’où l’idée actuellement que l’Etat doit résoudre les problèmes qui se posent. Or, qu’est-ce que l’Etat sinon une représentation fantasmée du premier groupe constitué non pas d’une abstraction mais bien de personnes en chair et en os.
Au bout du compte, la recension des individualités du premier groupe n’est pas menée de façon rigoureuse, loin de là même si de facto il y a bien des employeurs et des employés, des producteurs et des consommateurs, avec chaque fois un petit nombre face à un grand nombre. Or, on doit déplorer que les personnes du second groupe n’étant pas bien formées, tendent à développer un certain minimalisme, à savoir qu’elles font preuve d’une certaine passivité et se limitent à une valeur ajoutée médiocre. Prenons un exemple en musique : une pianiste jouera la partition d’un compositeur mais elle ne se permettra guère de la prolonger, de la poursuivre, de l’arranger et elle n’en a généralement même pas la compétence. Autrement dit, elle laisse aux individus du premier groupe carte blanche pour fixer dans le détail ce que doivent faire les personnes du second groupe, minimisant ainsi son propre apport et limitant d’autant le champ de la diversification à partir d’un modèle unique. A la limité, il faudrait que le modèle déterminât par un processus de tirage au sort ce que chaque praticien doit faire, de sorte de limiter au maximum la portée de toute initiative. En revanche, tout le monde espère appartenir au premier groupe, d’où une sorte d’exode du second groupe vers le premier, d’où une désertification du second groupe
Or, à quoi peut mener un tel surinvestissement par rapport au premier groupe – celui qui donne le la ? A une situation d’échec avec beaucoup d’appelés et peu d’élus. D’une part, une élite qui tire son épingle du jeu et qui a pour obligation d’être extrêmement dirigiste dans ses instructions, en laissant fort peu de latitude au niveau de l’exécution, ce qui fait l’impasse sur les ajustements sur le terrain et de l’autre un prolétariat qui ne sait faire qu’une chose : lire ce que d’autres ont écrit, qui n’a aucune prise sur le signifiant, sur le choix des mots et doit se contenter d’y apporter un peu de vie, ce qui est médiocrement créatif.
On aura ainsi remplacé une structure duelle relativement équilibrée avec deux groupes complémentaires, l’un prolongeant l’autre dans la diversité à une structure totalement inégalitaire où le second groupe est constitué de personnes interchangeables, taylorisme oblige, et de plus en plus remplaçables par des machines.
Autrement dit, si les femmes ne se ressaisissent pas et ne cessent pas de courir après des chimères d’appartenance au premier groupe, elles vont, sous peu, voir leur rôle se réduire comme une peau de chagrin, coincées qu’elles seront entre les créatifs et les machines. Symboliquement, la disparition des secrétaires – métier essentiellement féminin par tradition – témoigne d’une telle évolution.
En tant que compositeur, nous avons une idée assez clair du rôle que pourraient jouer les femmes si elles étaient correctement formées et préparées, à savoir que nous créons un certain style de jeu, de sonorité qui peut contribuer à la constitution d’un certain nombre de personnes travaillant sur le processus que nous avons enclenché. Elles pourraient adapter notre musique à divers instruments, à diverses formations instrumentales. (Quatuor, orchestre) et leur rôle ne consisterait pas seulement à suivre la partition. Elles auraient le droit de combiner les choses à leur guise, de modifier l’ordre des « mouvements », d’improviser et elles auraient ainsi en commun une matrice qui n’en ferait pas moins l’unité du groupe et que nous leur aurions fournie et dont elles seraient tributaires, à différents niveaux, y compris celui des royalties.
Il convient, en effet, de préciser le débat actuel sur la question de savoir si les femmes peuvent faire ce que font les hommes, puisque c’est bien là une sorte de leit motiv. Encore faut-il préciser ce que font les hommes. Hâtons-nous en effet de préciser que beaucoup d’hommes sont condamnés à assumer un statut féminin au sens où on l’a défini plus haut. Donc le fait qu’une femme effectue le travail de ces hommes-là n’est nullement concluant. Le problème est donc délibérément mal posé. En revanche, il est assez probable que les femmes soient plus aptes à faire ce travail subalterne que certains hommes se sont accaparés en aval et donc ces hommes-là prennent effectivement leur place. C’est cette catégorie d’hommes qui ne parviennent pas à « faire école », à rayonner, à polliniser qui généré de la confusion et relégué les femmes à un statut ancillaire assez peu intéressant. Car qu’on le veuille ou non la relation entre les membres du premier et du second groupe passe par une certaine complémentarité sexuelle. Les homosexuels tendent à isoler les hommes des femmes et à constituer les deux groupes sur la base uniquement d’hommes. Il revient donc aux femmes non pas de contester le pouvoir masculin mais de s’en prend aux déviances, dans tous les sens du terme, qui se manifestent. Et c’est là qu’il conviendrait de réviser singulièrement la stratégie des femmes de nos jours.
On rappellera donc, en conclusion, que nous appelons hommes, au plein sens du termes, des personnes capables d’élaborer des structurs,d es méthodes, des styles pouvant employer un grand nombre de femmes. Donc, une femme qui affirmerait le travail d’un homme en faisant abstraction de cette condition se tromperait de cible. Une femme qui accomplirait une œuvre sans fournir de travail à d’autres ne peut dire qu’elle fait le travail d’un homme même si des hommes, de facto, font cela. Le rôle d’une femme n’est pas de donner des modèles à autrui mais de collaborer collectivement à la mise en œuvre d’un projet. Les femmes se trouvent donc directement en concurrence avec les homosexuels qui prennent leur place parce qu’ils ne parviennent pas à affirmer leur propre centralité. Nous définirons l’homosexuel homme comme un homme qui ne parvient pas à trouver non pas son centre mais sa centralité sociale. Le cas de la structure de couple fait également problème et généré bien des malentendus. Comme on l’a dit plus haut, la position centrale est difficilement compatible avec l’existence d’un seul partenaire. Il s’agit donc là d’une cote mal taillée et est peu ou prou assimilable à une forme d’homosexualité au sens d’incapacité à assumer pleinement sa virilité dans le rapport du un au multiple. C’est évidemment une solution qui permet de « caser » un maximum d’hommes mais elle fait problème en ce qu’elle ne permet pas bien d’apprendre le masculin qui n’a fondamentalement pas vocation à vivre dans le cadre binaire. L’homme ne fait sens que face à la pluralité d’un groupe dont la diversité est compensée par un même référentiel masculin. La femme seule ne dépend donc pas de l’homme puisqu’elle n’a pas de cohérence collective à constituer. La disparition de la polygamie est selon nous le début d’une certaine forme de décadence. Jusqu’à présent, cette polygamie se maintenait à toutes sortes de niveaux mais désormais, bien que dans les faits elle se perpétue, son dysfonctionnement est probablement la cause de la décadence de l’Occident. Nous pensons que si dans les prochaines années, on ne reprécise pas notre modèle de société selon les lignes que nous avons ici définies, on basculera dans une nouvelle ère, qui sera centrée sur la machine et où les facultés spécifiques au premier groupe seront de plus en plus négligées. Que l’on songe au jugement de Salomon !.
JHB
19. 05.13