La musique est une affaire mystérieuse qui concerne beaucoup de monde en tant que récepteurs mais une « élite » en tant que producteur, comme le remarquait Claude Lévi Strauss, sans donner d’explication. On touche du doigt en effet avec la musique plus qu’avec toute autre activité l’existence d’un certain clivage qui trouve une de ses manifestations les plus flagrantes dans le fait que les compositeurs de musique, du moins ceux retenus par la postérité, sont quasiment tous des hommes.
De nos jours, les concerts publics ont comme programme des œuvres de compositeurs décédés pour la très grande majorité, même s’il existe des espaces voués à la musique contemporaine. Rarement, les deux groupes se combinent. Il serait bon qu’au moins une pièce contemporaine soit jouée à chaque concert et de préférence, pendant qu’on y est, improvisée, ce qui apporte un contrepoint à la musique fossilisée de Bach, Beethoven ou Debussy. Il y a là une situation étrange que ce rapport à la musique du passé comme si les compositeurs actuels n’étaient pas à la hauteur de leur ainés. Tout se passe comme si la créativité musicale appartenait à un temps révolu, ce qui irait dans le sens d’une ère décadente, égalitaire. Au fond, la revendication égalitaire des femmes se nourrirait de la déchéance masculine telle qu’elle se manifeste dans le champ musical. Même le jazz serait fondamentalement une affaire du passé en ce qui concerne ses « standards » On pourrait aussi imaginer des formules hybrides avec un orchestre jouant une œuvre bien déterminée et un soliste improvisant, ce qui existait peu ou prou avec la pratique dite de la « cadence ». Cela a évolué vers une partition écrite pour le soliste, ce qui enlève de son intérêt et de son enjeu à ce dualisme.
Il est clair que pour les œuvres anciennes, le compositeur est éclipsé par l’interprété qui n’est pourtant qu’un interprètes parmi d’autres. C’est le privilège de la musique contemporaine de permettre la présence du compositeur. Or, une telle absence n’est certainement pas innocente, elle entretient, plus ou moins sciemment, consciemment, une certaine confusion. L’interprété s’arroge ainsi un mérite de façon quelque peu indue, son mérite étant en l’occurrence d’avoir fidèlement restitué l’œuvre concernée, ce qui n’est pas en soi un acte hautement créatif et personnel, même si chaque interprété y met du sien, par la force des choses, parfois à son corps défendant. Le traducteur est, comme on dit en italien, un traitre (tradutore-traditore), non pas tant parce qu’il ne rendrait pas la « pensée » de l’auteur mais parce qu’il se substitue à lui.
Mais revenons à ce mystère de la musique qui explique d’ailleurs certains stratagèmes, ce qui fait penser quelque peu à une problématique alchimique et à ceux qui font vraiment de l’or face aux charlatans.
A l’origine, selon nous, la musique était émise par la bouche, elle s’articulait sur ce que nous appelons le « toucher interne », qui ne passe pas par les mains. Les mains sont initialement étrangères à la production musicale et font basculer d’une dynamique intérieure, invisible, organique à une dynamique extérieure, visible, instrumentale.
Ce toucher interne est d’ailleurs ce qui permet à l’être humain de parler, de pratiquer une langue en reproduisant tel ou te son à volonté, ce qui ne vas pas sans un certain tâtonnement, donc une tactilité interne qui ne fait aucune place à la main. Que dire de cette formule discutable : l’homme pense parce qu’il a une main ? Or, la main n’est pas le seul vecteur tactile que nous ayons et il serait faux de décider qu’à l’intérieur de notre corps, il n’y a pas de toucher. L’acte de siffler, par exemple, implique un tel toucher « intérieur » que l’on peut tenter de résumer par une projection de souffle sur certaines parois, sur les « cordes vocales ». Mais cette tactilité interne vaut probablement aussi pour le fonctionnement du cerveau, sur les connexions qui y opèrent et qui peuvent impliquer une forme de « toucher » au niveau du rapport émetteur/récepteur, au sein même de l’organisme et non dans un rapport intérieur/extérieur. Il y aurait en ce sens une dialectique interne yin yang. En ce sens, l’homme autonome disposerait de cette dualité que l’on retrouve au niveau chromosomique. La femme, dans ce cas, se caractériserait par une fonction en moins et non par une fonction complémentaire et d’ailleurs nous sommes très sceptiques sur la notion de complémentarité entre hommes et femmes. Selon nous, il n’y a pas de complémentarité systémique externe mais seulement interne. Cela dit, de facto, les femmes prolongent l’impulsion masculine si ce n’est qu’une partie de la population masculine peut tout aussi bien jouer ce rôle, en ne développant pas une certaine polarité interne.
Selon nous, l’acte de création musicale sous-entend une activation interne du toucher, ce qui devrait tôt ou tard être mis en évidence par les neurosciences. Même lorsque le compositeur ne chante pas, ne siffle pas, il est probable qu’une certaine forme de toucher interne s’exerce néanmoins dans sa tête et c’est cette dimension tactile interne qui ne s’éveillerait pas chez les femmes, même si tous les humains sont, à quelques exceptions près, dotés du pouvoir de la parole, ce qui exige une certaine maitrise « tactile ».. Pourquoi donc la parole et non pas la musique ? Nous répondrons que la parole n’est pas originale dès lors qu’elle passe par l’apprentissage d’une certaine langue codifiée. Ce qui distinguerait précisément la parole de la musique, c’est que l’une est commune à une population, dans le temps et dans l’espace alors que l’autre est une affaire personnelle qui peut communiquer sans qu’il y ait eu accord préalable. La musique est un langage sans paroles, donc foncièrement libre. La musique est à la source du langage mais le langage échappe à la musique en se cristallisant. Autrement dit, tous les humains seraient capables de reproduire des sons mais non de les produire. On n’insiste pas suffisamment sur ce distinguo sémantique entre production et reproduction et souvent une production n’est qu’une reproduction, ce qui est source de confusion. Les femmes reproduisent bien plus qu’elles ne produisent et elles se sentent surtout capables d’ajouter quelque chose à la production du fait même de la reproduction, ce qui confère à leur reproduction des apparences de production. On peut l’observer même au niveau externe : si l’on prend le cas de la préparation des « plats » face au produit initial, le souci des femmes est ce qu’elles vont pouvoir ajouter et non pas tant l’amélioration du produit. Là encore, l’on peut jouer sur le mot « améliorer ». Pour un homme, améliorer, c’est donner un produit de meilleure qualité. Pour une femme, améliorer, c’est ajouter au produit des éléments qui le rendront plus attractif. C’est tout un programme même ou surtout si on est peu ou prou dans le non-dit. Selon nous, les femmes se situent dans le monde extérieur, « profane » (hors du temple), elles ne sont pas censées entrer dans la « Cité interdite » mais inversement, les hommes sont censés passer par les femmes, non pas dans le cadre du couple monogamique mais bien sur une base polygamique.
Le grand problème posé par nos sociétés dites démocratiques tient au fait que le nombre est déterminant. Or nous avons vu que l’humanité fonctionne sur le rapport de l’un au multiple. On ne peut mettre sur le même plan les producteurs et les reproducteurs tout comme on ne peut mettre les producteurs à la merci des reproducteurs sous prétexte que ceux-ci, fort logiquement, sont les plus nombreux. Le système démocratique tend d’ailleurs à créer une minorité, celle de ses représentants (Parlement), qui est constituée d’une infime partie de la population, ce qui est encore plus flagrant au niveau du gouvernement, de l’exécutif. Mais cette minorité, d’aucuns se plaignent qu’elle ne représente pas la population, d’où des revendications de paritarisme, ce qui est en fait une subversion du système qui longtemps n’a pas inclus les femmes (y compris à Athènes). C’est dire que la pensée constitutionnelle a du pain sur la planche pour élaborer un système qui tienne compte d’une certaine dualité producteurs/reproducteurs mais aussi, ce qui est un autre sujet que nous avons abordé dans d’autres travaux d’une certaine cyclicité, au lieu de fixer arbitrairement les échéances. Nous sommes en faveur d’un constitutionalisme plus scientifique et moins abstrait.
JHB
08. 05. 13