Mort et renaissance
Posté par nofim le 17 mai 2014
Plaisir et Conscience
par Jacques Halbronn
Nous qui nous intéressons aux signes qui doivent nous
alarmer (cf nos textes sur les sens), nous accorderons
une importance toute particulière au probléme du
vieillissement. Toute oeuvre est condamnée à vieillir
ne serait-ce que parce qu’elle finit par ne plus
surprendre, que l’on s’habitue à elle, qu’il n’y a plus
guère de mérite à la célébrer. Même Beethoven, Galilée
ou Marx vieillissent, datent. Leur mérite reste certes
intact mais si l’on en était resté là, on serait bel et bien
en pleine décadence comme ce serait le cas si nous
pouvions plus procréer. En ce sens création et procréation
sont des signes qui vont dans le même sens, celui d’une
certaine vitalité.
Le Mal peut ne pas être perçu quand il s’agit d’un manque
car le manque, quelque part, est invisible. Comment savoir
que quelque chose manque? Comment en être conscient?
On peut certes prendre plaisir à apprécier les oeuvres des
précédentes générations mais cela ne doit pas nous faire
oublier que chaque génération doit renouveler ce qui a été
accompli avant elle.
Il y a à ce propos des signes indiquant que notre
présente Humanité va mal, qu’elle se fonde trop sur des
acquis et qu’elle s’en contente ou qu’elle ne se sent pas
à la hauteur.
Prenant le cas des langues. Celles-ci en régle générale sont
en un piétre état. Elles se dégradent, elles sont hybrides.
Mais les linguistes nous expliquent complaisamment que
du moment que l’on y trouve une dynamique phonologique
tout va très bien Madame la Marquise!
Mais est-ce assez? Pour ceux qui comme nous s’interrogent
sur la déperdition structurelle des langues, nous avons
d’autres exigences et nous ne pouvons que nous étonner
que l’on en soit arrivé à un tel degré d’incurie par
procrastination. Une langue peut certes errer mais elle
doit périodiquement se ressaisir et se renouveler, au sens
de retrouver son état initial quitte à errer à nouveau et
ainsi de suite.
Heureusement qu’il n’en est pas ainsi pour la
procréation, disions-nous. Les vieillards meurent et laissent
la place à des jeunes qui ne sont pas censés répeter ou
reproduire littéralement ce qu’ont fait ou n’ont pas fait
leurs aieux. De même dans le domaine scientifique, chaque
génération a le devoir d’innover, d’apporter, en quelque
sorte, une « valeur ajoutée ». Même en politique, un
changement de constitution ou un amendement de celle
qui est en cours est bénéfique en soi, du fait que cela force
toute une nation à de nouvelles adaptations. (sous la Ve
République, le mode d’élection du Président(1962), le passage
du septennat au quinquennat)
En effet, un des périls les plus graves qui nous menacent
depuis l’aube de l’Humanité est la sclérose, la stagnation.
Mais il nous faut d’abord veiller à ce qui se passe dans
notre génération et non nous polariser sur l’apport des
précédentes comme c’est notamment le cas en musique où
le public se complait à la fréquentation d’oeuvres qui datent
souvent d’un ou de deux siècles. Certes, il en est de
nouvelles interprétations mais est-ce là un signe
si encourageant que cela?
Il convient donc d’établir une « check list » de tous les points
à surveiller concenant des dysfonctionnements du corps
social comme du corps physique.
L’argument du plaisir risque fort dans bien des cas
de désensibiliser le public à la gravité de la situation. Dire
que l’on a du plaisir à écouter du Bach ne résout pas le
probléme de la maltraitance de la musique actuelle dans
ce qu’elle peut avoir de plus « live », de plus vivant, de plus
spontané. Car la perte de spontanéité nous apparait comme
un signal alarmant qui ne saurait être compensé par le
plaisir lié à l’audition de tel ou tel chef d’oeuvre du passé. Et
c’est en cela que nous disons que le plaisir est moins à même
de nous guider que le déplaisir, que la conscience passe
plus par le déplaisir que par le plaisir et qu’elle est même,
en quelque sorte, l’inverse du plaisir.
De même, le plaisir que l’on peut éprouver à manger tel
ou tel plat ne suffit pas à considérer que ce plat est « bon »
pour nous même s’il est « bon » en soi. Le plaisir que l’on
peut ressentir à écouter quelqu’un parler de quelque chose
ne signifie pas que cette prise de parole puisse être par
ailleurs être considérée comme suspecte voire alarmante,
replacée dans le contexte diachronique et synchronique.
Si l’on prend le cas limite du viol, le fait qu’une femme
puisse éprouver quelque plaisir néanmoins, pour des
raisons physiologiques n’abolit nullement le malaise
psychologique qui en découle (y compris dans le cas
de la masturbation (Self Abuse)
. Plaisir et déplaisir peuvent tout à fait cohabiter et c’est
d’ailleurs en cela qu’il y a conflictualité.
On peut rire d’un spectacle – et donc avoir
du plaisir alors même que le spectacle fait probléme, par
exemple au niveau du racisme ou du sexisme (dans les deux
sens). Le plaisir n’est un bon guide que pour quelqu’un
qui a une forte exigence et conscience morales, c’est le
« plaisir » du devoir accompli, la joie. Il reste que plaisir
et lucidité ne font pas nécessairement bon ménage et l’un ne
saurait se substituer à l’autre, en tenir lieu en tant
qu’indicateur, que signal d’alarme. L’arbre du plaisir peut
cacher la forêt des alarmes et c’est là qu’il y a risque de
manipulation.
Qu’est-ce que la beauté? Nous répondrons que c’est
quand notre contemplation n’est heurtée (do not hurt
my feelings) par aucun désagrément, ne réveille aucun
processus de rejet. Et l’on sait que tout agrément est
provisoire car il peut être remise en question par le fait
de signaler un point qui avait jusque là échappé et toute
l’histoire de l’évolution, et notamment en sciences, est
liée à la détection de nouveaux problémes que l’on avait
pu ignorer, négliger. Ce n’est jamais que jusqu’à nouvel
ordre. D’où la nécessité d’un éveil et le manque d’éveil est
déjà en soi un signe de dysfonctionnement social,
entendons par là le fait qu’au sein d’un groupe donné, la
parole critique soit étouffée par le dit groupe ou par ses
responsables qui ne veulent pas entendre ou voir ce qui
ne va pas ou plus. L’expression française « ça va? »
résume assez bien l’enjeu du débat. En ajoutant « pour
l’heure », « pour l’instant », en apparence. On peut tout au
plus déclarer : RAS, rien à signaler ou plutôt rien qui n’ait
été signalé jusqu »à présent. Mais cela implique que l’on
ait pris connaissance de tous les indicateurs, y compris
des manques, des déséquilibres, des confusions,
des absences, que l’on n’ait point passé outre à
certains avertissements par un revers de main, « ce n’est
pas important », « cela ne change rien ». Le plaisir est souvent
le paravent de l’incurie.
JHB
17 05 14
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JHB
18 05 14
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