La critique nostradamique.
Posté par nofim le 19 mai 2014
La malédiction des imprimés datés et la recherche
sur le corpus Nostradamus
par Jacques Halbronn
En 2007, nous avons soutenu une thèse post-doctorale, à
l’EPHE Ve section, sur la naissance de la critique
nostradamique au XVIIe siècle, qui fut aussi celui de
la naissance de la critique biblique. Nous voudrions revenir
ici, sept ans plus tard, sur la méthodologie que nous avons
élaborée et mise en oeuvre.(cf notre série en français
« Halbronn’s Researches », sur le site propheties.it de
Mario Gregorio).
Comme dans le cas de la critique biblique, nous avons été obligés de supposer
l’existence d’une source (en allemand Q pour Quelle) antérieure aux états
qui nous sont parvenus et notamment de pièces en prose qui ne nous sont
parvenues, en partie, que par le biais de quatrains. Nous avons suffisamment de
preuves dans ce sens grâce au corpus des almanachs de Nostradamus qui ont été
conservés et qui constituent autant de diptyques prose/quatrains. On n’a pas
conservé l’équivalent pour les centuries pour l’excellente raison que la partie prose
n’aura été imprimée que très partiellement mais suffisamment
toutefois pour étayer notre thèse. La critique nostradamique
avait pris beaucoup de retard sur la critique biblique et il
peut etre intéressant de se demander pourquoi alors même
que le phénoméne renvoie à une période beaucoup plus
récente, qui est celle des premiers siècles de l’imprimerie
Or, précisément, c’est bien là tout le probléme, nous
semble-t-il en ce que l’imprimerie facilite la contrefaçon.
Et de fait, ce qui obstrue la perception des véritables
données du dossier, c’est l’existence de fausses éditions
réalisées bien après la date indiquée sur celles-ci. D’aucuns
diront que l’étude du papier, du matériel, permet de dater
une édition, en réalité, il n’en est rien, surtout si l’on se
contente de valider ce que les faussaires ont voulu nous
faire croire, en fournissant complaisamment certains
indices factices dont nous avons d’ailleurs montré qu’ils
ne pouvaient pas toujours faire illusion, car ces
faussaires sont eux-mêmes victimes de faussaires plus
anciens. C’est l’arroseur arrosé!
On en arrive à d’étranges situations où les éditions réputées
les plus anciennes ont un contenu plus tardif que les éditions
supposées parues ultérieurement. C’est ainsi que les
éditions de la période de la Ligue nous frappent par leur
caractère de « work in progress », de chantier, bien plus
flagrant que les éditions dont elles sont censées être
issues. Les bibliographes comme Rober Benazra (cf le
Répertoire Chronlogique Nostradamique, Ed Trédaniel-
La Grande Conjonction 1990, préface Jean Céard)
dissimulent mal leur embarras en laissant entendre
que le cours des éditions aurait connu une crise, avec
une perte de données qui n’aurait été rattrapée qu’au bout
d’un certain temps alors qu’en réalité, le retour à la
normale est en fait un point d’aboutissement d’un processus
qui était encore en gestation sous la Ligue.
Car deux problémecs se posent: celui certes des sources mais
aussi celui de la date à laquelle les sources furent exploitées,
ce qui semble avoir eu lieu bien après la mort de Nostradamus,
à partir des liasses de papier laissés dans sa bibliothèque et
qui prirent une forme et une dimension que le dit
Nostradamus n’avait certainement pas prévue. On sait
que certains quatrains furent composés à partir de passages
de la Guide des chemins de France de Charles
Estienne, ce qui n’a donc rien à voir avec des écrits de
Nostradamus mais qui devait appartenir à sa bibliothèque. On
peut jouer sur les mots en disant que ce sont des ouvrages de
Nostradamus mais non de sa plume.
La question qui reste posée est évidemment la raison d’un
tel travail dont nous pensons qu’il fut mené assez
consciencieusement, ce qui a empêché certains
nostradamologues de comprendre ce qu’il en avait été
réllement.
En fait, les Centuries seraient peu ou prou contemporaines
des devises du pseudo Saint Malachie, à savoir les années 1580-159
1590 (cf notre ouvrage Papes et prophéties, Ed Axiome, 2005)
qui sont aussi extraites de textes en prose d’historiens de
la Papauté. On peut assimiler ces devises à une sorte
de ‘ »réduction » du même ordre que les versets centuriques.
Comme pour la Bible, nous avons avec les centuries
affaire à un corpus qui est une oeuvre collective et se
déployant dans le temps..
Le vrai Nostradamus est à peu près indéchiffrable au
travers des quatrains. Ce sont les textes en prose qui
importent et rappelons que dans le canon centurique on
a bel et bien deux épitres, celle à César et celle à Henri II
et que certains passages des dites épitres se retrouvent dans
les quatrains et non l’inverse.
Au lieu de classer les documents selon un ordre
chronologique « interne », lié au contenu,les nostradamologues
s’en tiennent le plus souvent aux dates complaisamment
fournies par les libraires et c’est en cela que la critique
des textes imprimés est moins performante que celles
des textes manuscrits ou non datés. Les bibliographies
chronologiques du corpus Nostradamus sont plombées
par une méthodologie aussi simpliste.
Selon nous, il faut faire abstraction des dates et ranger les
éditions selon un ordre « logique ». Il sera toujours temps
ensuite de signaler les contrefaçons, les productions
antidatées, ce qui évitera les acrobaties chronologiques
actuellement encore en vigueur notamment chez la plupart
des spécialistes des XVIe et XVIIe siècles.
Quant aux raisons qui auront inspiré de telles pratiques
comme la confection des Centuries, c’est une question
qui découle de notre rétablissement chronologique. On
soulignera le fait que les choses se sont faites
progressivement et que ces centuries ne nous sont pas parvenues
d’emblée à leur stade final comme pourraient le faire
croire certaines éditions antidatées, ce qui est déjà en soi
une imposture dans l’imposture. Double imposture, donc!
Nous sommes en face d’un processus posthume avec les
Centuries réalisé à partir de manuscrits laissés par
Michel de Nostredame comme il ressort de son testament.
Certains d’entre eux sont d’ailleurs les brouilons
d’ouvrages qui furent imprimés de son vivant, ce dont
les faussaires n’avaient pas forcément connaissance alors
que nous y avons accès. Force est de constater que par ce
biais des quatrains, on n’accède que de façon excessivement
biaisée à la pensée de Nostraamus, hormis par la lecture des
deux épitres datées de 1555 et 1558 qui sont très peu de
choses et qui ne sont pas parues de son vivant, si l’on admet
qu’on ne les connait que par des éditions antidatées ou
posthumes. En fait, les premières éditions des Centuries
ne seraient pas antérieures aux années 1580 et encore sous
une forme, on l’a dit, embryonnaire qui est celle des éditions
du temps de la Ligue. Pensée donc occultée que celle de
Nostradamus et disons-le faussée par l’absence quasi
systématique de références astronomiques, à quelques
quatrains près, alors que Nostradamus ne « prophétisait »
que dans le cadre rigide des données astronomiques..C’est
en fait l’image d’un Nostradamus astrologue qui se voit
ainsi singulièrement édulcorée en un temps où les
prédictions astrologiques sont sous surveillance, notamment
depuis l’édit d’Orléans de 1560.! En 1594, parait à Lyon,la
Première Face du Janus François (en français et latin)
qui est un commentaire chronologique – mais une
chronologie purement exégétique couvrant rétrospectivement
plusieurs décennies- -des quatrains centuriques
mais aussi des quatrains des almanachs, ces derniers étant
voués au siècle suivant à une marginalisation voire
à la disparition. On nous montre un Nostradamus
« historien » qui se calquerait en quelque sorte sur les
chroniques de l’époque à l’instar de la prophétie des papes
elle-même terriblement antidatée, attribuée à Saint
Malachie (cf supra), ce qui ne fait sens que si l’on admet que ses
quatrains sont parus du vivant de Nostradamus.
Tout indique d’ailleurs qu’au départ, on s’était contenté
de soutenir que Nostradamus avait laissé à sa mort des
inédits avant que, poussés par quelque zéle, les libraires
aient opté pour une parution imprimée du vivant même
de l’auteur, ce qui n’aura pas été sans laisser de trace d’un
tel revirement éditorial!
Les textes de Nostradamus furent en fait doublement
dénaturés: d’une part par la « réduction » versificatrice et
de l’autre par la traduction qui en est donné en latin dans
la première Face du Janus François (cf supra) et qui prend
de grandes libertés avec l’original français.
En fait, Nostradamus est présenté comme l’historien
de la maison royale de Valois et d’ailleurs la dite première
Face s’arrête en 1589 comme indiqué en son titre. Auparavant
les centuries semblent avoir surtout servi comme outil
de propagande par l »adjonction sinon de quatrains du moins
par diverses retouches en prise sur le contexte politique de
l’époque, notamment celui de l’avénement d’Henri IV. On
le sait en comparant certains quatrains à leurs sources
en prose. Cela explique pourquoi les premières éditions
parurent sans commentaire puisqu’il suffisait alors
de changer le texte. Par la suite, cela ne fut plus possible
et il fallut se contenter du commentaire et de la « traduction »
qui n’est elle-même qu’une forme de commentaire.
La critique nostradamique au XVIIe siècle, notamment
dans l’oeuvre du dominicain Giffré de Réchac (cf notre post
doctorat) alias Jean de Sainte Marie, consista à rejeter
les quatrains des almanachs, pourtant plus authentiques
et bel et bien parus du vivant de Nostradamus, même si
effectivement de faux almanachs circulèrent plusieurs
années avant sa mort. On rejeta aussi les « sixains » qui
avaient été ajoutés dans des éditions du début du XVIIe
siècle bien que précédés d’une épitre (à Henri IV, datée de
1605) attestant qu’ils avaient été retrouvés dans les papiers
de la succession, ce qui à notre avis correspond à la
présentation initiale posthume des Centuries avant qu’on ne
les fasse précéder des épitres sus mentionnées censées
attester de la confection des dits quatrains centuriques dès
les années 1550.(Nostradamus meurt en 1566). Cette
première tentative critique (1656) parut anonymement mais
fut occultée par son volet exégétique, d’ailleurs en grande
partie resté inédit jusqu’à ce jour. Il faudra attendre les
grossières erreurs des libraires du XVIIIe siècle, produisant
une édition datée de 1566 d’un libraire qui n’était pas
encore en activité (confondant le père et le fils) pour que
l’on commence à se poser des questions au sujet des
dates d’édition et encore cela ne fut le cas qu’à partir de la
seconde moitié du XIXe siècle. Le courant critique connut
d’ailleurs un coup d’arrêt, dans les années 1980-90 avec
les reprints d’ »éditions centuriques datées des années
1555, 1557, 1568 venant confirmer, soi disant, la thèse
de parutions du vivant de Nostradamus ou au lendemain
de sa mort, ce qui allait à l’encontre du témoignage des
éditions « ligueuses » moins achevées que les éditions
prétendument antérieures. Situation paradoxale que ces
rééditions de contrefaçons retrouvées dans les bibliothèques
alors même que les toutes premières vraies fausses éditions
restaient inaccessibles, notamment du fait de la mort du
grand collectionneur Daniel Ruzo dont certaines pièces
ne sont plus localisables, comme les « Grandes et Merveilleuses
Prédictions (sic) de M. Michel Nostradamus divisées en
quatre centuries » (Rouen 1588) dont on ne connait
actuellement que la page de titre et une description
très succincte du contenu (cf R. Benazra, RCN,
op. cit. pp . 122 -123. La réapparition en reprint ou
numérisée de cette pièce aurait certainement un effet
considérable pour la critique nostradamique.
JHB
20 05 14
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JHB
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Juifs et Chrétiens Histoire d’une séparation Le Monde
de la Bible 2003
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