Le retour de la musique à la danse
Posté par nofim le 21 mai 2014
Pour une musique sans son
par Jacques Halbronn
Chaque fois que nous assistons à un concert de musique
« classique », nous éprouvons un malaise comme si quelque
chose « sonnait » faux.
« Est spontané ce qui vient de soi-même (..) non d’une
force ou d’une contrainte extérieures » ( A Comte-Sponville
Dictionnaire philosophique, ed PUF, 2001, p. 965).
Quelle est donc la spontanéité de l’interprète? Lui qui
n’avance pas un doigt sans que cela ne lui soit dicté par la
partition qu’il lit ou qu’il a apprise par coeur? Il y a là une
farce, une comédie, à notre sens, un faire semblant.
Est-ce à dire que le spectateur éprouve cette musique que
l’on peut qualifier de réchauffée autrement que si cette musique
était jouée par son auteur ou mieux improvisée? Est-ce que si
l’on s’en tient à celui de la lecture en général, à voix haute,
de quelque texte, il n’en est pas de même, à savoir qu’il y a
mascarade, substitution, appropriation? Est-ce que l’enfant qui
entend quelqu’un parler spontanément reçoit les mêmes
sensations que s’il s’agit de quelqu’un qui lit un texte, qu’il
soit ou non de lui?
Il nous faut revenir sur la question de la lecture, de l’acte de
lire et sur le passage de l’écrit à l’oral, à la production de
sons (langage, musique). Nous dirons que l’oral appartient
à la nuit et l’écrit, le signe, (au sens visuel du terme, à
distinguer du signal) au jour tout comme le rire s’adresse
à l’ouie et le sourire à la vue (cf Dictionnaire philosophique,
op. cit. p. 947). Dualité majeure qui renvoie à des temps
très anciens, liés à l’invention ou la découverte du feu, à la vie
dans l’obscurité ou dans la lumière. Quand on est dans la
lumière, la parole n’est pas nécessaire et dérange ceux qui
se servent de leurs yeux (langage des signes). Le bruit n’est
tolérable que la nuit. Ce qui est paradoxal car de nos jours, la
nuit, il ne faut pas faire de bruit (tapage nocturne)
Lire un texte, jouer une partition, c’est passer du jour à la nuit.
Parler, c’est reconnaitre que l’on ne voit pas, plus. Mais
pourquoi lire, pourquoi ne pas parler sans lire, ne pas jouer
d’un instrument sans avoir à passer par la lecture et donc
l’écrit. Dans ce cas, la parole est serve, tributaire de l’écrit
et cela vaut évidemment pour la musique. Cette parole est
d’autant plus serve qu’elle se sert d’une langue qui est
codifiée, qui n’est pas libre de ses formulations.
On pourrait évidemment dire que celui qui dicte à un scribe,
à un secrétaire, opére l’action inverse, en mettant l’oral par écrit
en transcrivant de l’oralité. C ‘est dire que l’écrit est un
passage obligé, un lieu de pouvoir.
Car en mettant par écrit de l’oral, je permets à quelqu’un
de revenir à l’oral à partir de l’écrit. Il y a un aller-retour.
En réalité, le passage de l’oral à l’écrit est un leurre car
c’est pour mieux repasser de l’écrit à l’oral en créant de
nouvelles chaînes. Car celui qui lit est enchainé.
Celui qui joue une oeuvre musicale porte des chaînes
invisibles mais que quelque part nous ne pouvons nous
empêcher de percevoir. C’est un esclave, un mercenaire,
quasiment une machine qui fonctionne parce qu’on y a mis
un message, un disque, un CD.
Revenons donc à notre interrogation: qu’est ce que ça
change pour l’auditeur qu’il y ait ou non de la
spontanéité non feinte? Quelque part, ce qui est écrit est
mort, figé et celui qui « lit » part de ce qui est ainsi devenu en
vue de lui redonner un semblant de vie. Il met sa vie au
service de la mort. Quel rapport avec quelqu’un qui est devant
nous dans la spontanéité de l’expression, qu’elle soit d’ailleurs
orale ou écrite, ou plus largement visible, faite de signes, ce
qu’est à la base l’écriture. Car l’écriture en soi n’est pas au
départ morte au moment où j’écris, où je trace des signes
sur quelque support ou dans l’air, ce qui peut correspondre
à une danse, à une gestuelle.
Tout se passe comme si celui qui s’exprime par le son et
non pas par le geste était tributaire de celui qui commandait
par le geste, l’index. Le maitre fait un geste et l’esclave
traduit par des sons car il communique avec des aveugles,
des non voyants. Celui qui communique avec moi par le son
me traite comme si j’étais non voyant. La musique ne serait
alors que la traduction de la danse à destination des
aveugles ou du moins de ceux qui n’ont pas accés, droit à
la lumière. On peut dès lors concevoir que mes mains.
dansent sur le piano sans qu’il y ait besoin de produire du son
ou si l’on préfére que la dynamique des pieds se transmute
en celle des mains lesquelles produisent du son mais aussi
de l’écrit qui sera voué à produire du son. Que je joue d’un
instrument ou que j’écrive, dans les deux cas avec mes
mains, je produirai du son ou en ferai produire.
Il nous apparait donc peu à peu que le son est un pis aller, une
sorte de prothèse pour les aveugles. L’écrit ne serait que
le moyen de conserver le son, de le mettre en conserve.
Rappelons que Beethoven était sourd et il est possible qu’il
ait composé en fait des pas de danse qu’il aurait ensuite
restitué, codifié. Le mot rythme est emprunté à la danse, est
visuel au départ.
.On peut concevoir que la danse produise du son, avec les
pieds qui tapent, qui piétinent le sol et que c’est ainsi que
progressivement, le son serait apparu. D’où l’intérêt qu’il y
a à regarder jouer ‘(film, vidéo) et non pas à écouter de la
musique. C’est en fait le spectacle visuel qui est l’élement
essentiel dansun orchestre, chez un interpréte, cela reléve
d’une chorégraphie.
Autrement dit, ce qui importe c’est la dynamique du
mouvement des corps qui nous nourrit comme c’est aussi
le cas dans le rapport sexuel même quand celui -ci est muet.
On en revient donc à notre question: qu’est ce que cela
change, selon que ce que je vois est spontané ou « réchauffé »?
Il nous semble que si nous somms plus génés par quelqu’un
qui a une gestuelle qui n’est pas sienne que par celui qui
prononce des mots ou des sons qui sont issus d’une gestuelle
émanant au départ d’un autre. Le son ici vient occulter ce
qu’il y a de faux dans la gestuelle de l’interprète. A la limite,
l’on pourrait tout à fait concevoir des vidéos
sans le son où l’on verrait le corps, le visage, les mains les
pieds du « joueur », ou des salles où les spectateurs porteraient
des casques qui supprimeraient le son, sauf pour les
aveugles ou les mal voyants mais ces derniers n’auraient
qu’un accés édulcoré au spectacle – ce serait un pis aller.
De même, serait un pis aller le spectacle donné par des
personnes qui ne seraient pas dans la spontanéité. La
musique doit redevenir un spectacle, une danse, un
mouvement et s’émanciper du son qui n’en serait qu’un
sous produit. En ce sens, voir un match de tennis ou de foot
serait plus nourrissant que d’aller au concert à moins de
considérer qu’une performance musicale reléve du sport.
On est là aux antipodes du propos d’un Richard Wagner car
il est clair que la musique n’a aucunement besoin de la
parole pour exister mais bien davantage de la danse, du
ballet et quelque part le Sacre du Printemps ( 1913) nous
renverrait à la source même de la musique, dont les
percussions sont probablement le fondement.
JHB
14 05 14
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