Problémes de chronologie et d’attribution concernant certains ouvrages attribués à Abraham Ibn Ezra.
de Shlomo Sélah.
Ayant récemment pris connaissance que le diptyque que nous avions publié en 1977 avait fait l’objet d’un nouveau tra vail en 2007 (Brill) -réalisé, il y a 7 ans, par Shlomo Séla, The book of reasons : a parallel Hebrew-English critical edition of the two versions of the text / Abraham ibn Ezra ; edited, translated, and annotated by Shlomo Sela », nous avons été amenés à reprendre le dossier. En fait, Sela ne publie pas le premier volet du diptyque - même s’il s’y référe en note-à savoir le Réshit Hokhmah que nous avions rendu
dans une version romane de 1273, quelque peu remaniée en en préservant la langue
pittoresque mais deux versions du Sefer Hateamim.. Ptolémée y est désigné en roman sous le nom de Barthélémy. L’absence- dans l’édition Sela – du texte censé être commenté par le Liber Rationum est pour le moins génante.
Georges Vajda, dans sa Préface à notre édition de 1977 écrivait notamment (pp. 13-15) « L’adaptation qu’il (J H) a faite en français modene de la version française médiévale d’un ouvrage de l’auteur juif et sa traduction personnelle de l’original hébreu d’un autre sont des contributions dignes d’attention et d’estime à l’histoire de la civilisation ».
En 1993 nous avions publié (Ed Trédaniel) des Etudes autour des éditions ptolémaïques de Nicolas de Bourdin, qui abordent la question (pp. XXXVIII et seq). Il est également souhaitable de comparer les références à Ptolémée dans le Commencement de Sapience et dans le Livre des Fondements.
Nous avons également consacré quelques pages à Ibn Ezra dans son rapport avec le Centiloque in Etudes autour des éditions ptolémaïques de Nicolas de Bourdin (1640-1651), Paris Trédaniel, 1993; pp XXXVIII et seq)
Signalons aussi trois communications en 1993 à Jérusalem, au Congrès Mondial des Etudes Juives
1 “Réshit Hokhmah d’Abraham Ibn Ezra: problemes de traduction an [sic] … In: World Congress of Jewish Studies, 11th, Jerusalem, 1993.
2 l’année d’avant au Congrès de la SIEPM, à Ottawa , en 1992, qui fut publiée sous le titre « Le manuscrit latin 7321 A (2-3) de la Bibliothèque nationale de France (Paris) et les traductions françaises ptolémaîques et hippocratiques » Louvain-la-Neuve : Société internationale pour l’étude de la philosophie médiévale, 1996
L’auteur . a découvert à la bibliothèque municipale de Limoges dans le recueil manuscrit numéro 9, une traduction latine d’un ouvrage qu’il avait traduit de l’hébreu en français en 1976 sans en avoir eu connaissance. Il ne semble pas que cette traduction du Sefer Hateamim d’Abraham Ibn Ezra ait été signalée. Elle ne figure pas dans les Opera Omnia de l’auteur éditées par Pietro d’Abano. A sa place se trouve un autre texte portant un titre latin correspondant au texte hébraïque, le Liber Rationum, qui jouera un rôle important au XVIe siècle dans les milieux prophétiques, notamment chez Nostradamus »
Ce dernier article (pourtant (signalé par Séla dans sa bibliographie d’Abraham Ibn Ezra and the rise of medieval Hebrew Scicence, Brill, 2003, p. 396) aborde la question des deux versions de « Sefer Hateamim » dont traite l’édition Séla de 2004. On observera que l’édition latine (fin XVe siècle, cf fac simile sur Internert) comporte un developpement terminal qui ne figure pas dans l’édition Séla, lequel ajout est fort important en ce qu’il comporte un exposé sur les « gouverneurs », selon un systéme qui connaitre une fortune certaine en passant par Trithème, repris dans la Préface à César (en tête des Centuries de Nostradamus. Chaque astre régne pendant 354 ans (à rapprocher des jours de l’année/lunaire de 354 ). Ce que l’on retiendra, c’est
qu’en dépit de cette traduction latine, l’ouvrage ne figurera pas dans les Opera Omnia d’Ibn Ezra
Bien entendu, la question Abraham Ibn Ezra avait été traitée en 1985 dans un chapitre du Monde Juif et l’Astrologie (Milan, Arché) qui reprend ma thèse de 79. (cf aussi notre étude sur cet auteur
in Ecnyclopaedia Universalis, Article Astrologie, p. 281, Corpus 3, Paris, 1995)
Or , en 2004, Shlomo Sela publia le même diptyque sans citer nos différentes études , dans une collection
dirigée par Paul Fenton, chez Brill, qui avait été également en thèse avec Georges Vajda. La différence’ entre nos travaux tient au fait que nous avons traduit de l’hébreu le Livre des Raisons mais adapté le roman de la traduction du Commencement de Sapience puisqu’il y avait eu une traduction datant du XIIIe siècle.
« « The two treatises presented here were designed by Ibn Ezra to offer « reasons », « explanations » or « meanings » of the new astrological concepts formulated in the introduction to Astrology that Ibn Ezra entitled Reshit Hokhmah (Beginning of Wisdom) » si ce n’est que le volume commenté n’est pas fourni dans l’édition Brill.
On ajoutera deux autres textes de notre plume qui auraient pu aussi être signalés:
Dans le présent article, nous envisagerons plusieurs pistes de recherche notamment concernant le contenu des Opera Omnia
imprimées à la fin du XVe siècle, dans la traduction de Petro d’Abano. Nous traiterons des différences entre les deux « versions »
pour nous demander quels sont leurs statuts respectifs et au bout du compte, nous conclurons que c’est à juste titre que les Opera
Omnia ne comportent pas la première version que nous avons traduite en 1977 en français et que Séla retraduira trente ans plus tard.
Car, il nous apparait que cet ouvrage n »est pas d’Abraham Ibn, Ezra mais sur Abraham Ibn Ezra. Autrement dit, en 1977, nous aurions
publié un traité d’astrologie, le Commencement de Sapience (Réshit Hokhmah) et sa critique, qui le suit chapitre par chapitre. L’ouvrage serait donc à classer dans la catégorie des textes critiques sinon dans la littérature anti-astrologique.
L’emploi du mot « maison » (House) dans l’édition Séla porte à confusion car tantôt il s’agit des « signes » – et nous employons pour notre part le mot « domicile » quand le signe est relié
à une planéte dont il devient la « maison » (ou domicile) et tantôt il s’agit de « maisons astrologiques » (ou maisons de l’horoscope (Ascendant), d’où le terme horoscope pour désigner le thème) qui n’ont rien à voir avec le Zodiaque même si dans les deux cas,
on est sur une base 12. Il est vrai que l’hébreu ne fait pas la distinction, ce qui s’explique par le fait que l’on sous-entend à quoi se référent les maisons. Il reste que l’on emploie
indifféremment dans le texte d’Ibn Erza le mot « maison » (en hébreu Bay( comme dans Beit Lehem) dans un cas comme dans l’autre, ce qui dénote tout de même un certain flottement ou une forme de syncrétisme entre deux écoles rivales aynt chacune leur idée de la subdivision la plus pertinente.
aux maisons de l’horoscope et à celles déterminées par un point de départ au Bélier..
. Sont-ce celles de l’horoscope (ou Ascendant) ou sont-celles du point vernal ou de telle étoile du Bélier? Séla
semble distinguer entre » « houses (mundane » houses » (-planetary le terme anglais approprié serait Rulerships) et( pour la division du mouvment diurne et non du
Zodiaque( cf p. 193 et 249 par exemple). On notera que les 12 maisons astrologiques sont également associées à des planétes (joies). Mais l’on peut penser que le septénaire fut d’abord mise en relation avec une division en 8 secteurs plutôt qu’en 12.
En ce qui concerne les 4 Eléments, il eut été avisé de préciser que Ptolémée (et c’est vrai pour les triplicités) n’ associe jamais les signes aux éléments et c’est
pour cette raison qu’il n’indique pas de degrés pour les « exaltations » dans la Tétrabible. D’ailleurs Ibn Ezra le signale sans se demander
ce que cela implique. Il nous semble que cela signifie que les aspects chez Ptolémée (cf Séla op.cit p. 199) ont un rôle qui ne relie pas tant entre eux les astres que les subdivisions (maisons) du zodiaque. A noter que Nicolas de Bourdin, le traducteur de la Tétrabible (1640) utilise volontiers le mot « lieu »
à la place de « maison ».(Livre I, 19 Des trigones/ Il semble qu’il ne se serve
du terme ‘ »maison » que lorsque le signe est situé par rapport à la planéte qui le domine.
Mais signalons quand même d’entrée de jeu une bizarrerie dans l’index de Sélam, avec l’entrée Ptolemy avec entre
parenthèses « The King ». (p. 396)/ il est vrai que c’est une formule utilisée par Abraham Ibn Ezra (cf pp. 242-243) mais est-ce une raison pour la reprendre telle quelle dans l’index?
Séla dont on a regretté qu’il ne rendait pas synchroniquement le contenu du texte (Commencment de Sapience) commenté par le Liber Rationum lequel s’y référe explicitement, ne rend pas non plus diachroniquement l’évolution de la pensée astrologique entre le temps de Ptolémée et celle d’Albumsar et d’Abraham Ibn Ezra.
On notera qu’Ibn Ezra a pu être influencée par la lecture du Tetrabiblos pour concevoir un
travail sur les « raisons ». En effet, à de nombreuses reprises, Ptolémée propose des « raisons » pour tel
et tel passage de sa somme/ Ainsi sur les « Maisons » (Livre I, 18): « les maisons sont distribuées
par raison naturelle »,(trad Bourdin à partir du latin 1640 ) ce qui donne lieu à un célébre développement sur les domiciles des planétes.
Qu’est ce qui distingue les deux versions du Book of Reasons? La seconde version se référe au Réshit Hokhmah nommément alors
que ce n’est pas le cas de la première. Mais la première a dix chapitres comme son modéle alors que la seconde n’en a que 8.
Ce que Séla appelle la seconde version est celle qui a été traduite en latin par Petro d’Abano et imprimée à Venise en 1485 et 1507 (Reed Omnisys 1990). L’édition Brill correspond donc au cinq centième anniversaire de la dite impression.
Abrahe Avenaris Judaei, astrologie peritissimi, in re judiciali opera, ab excellentissimo philosopho Petro de Abano… in latinum traducta… Introductorium quod dicitur Principium sapientie. Liber rationum. Liber nativitatum et revolutionum earum. Liber interrogationum. Liber electionum. Liber luminarium… Liber conjunctionum planetarum et revolutionum annorum mundi, qui dicitur de mundo vel seculo. Tractatus insuper quidam particulares… Liber de consuetudinibus in judiciis astrorum, et est Centiloquium Bethen breve admodum. Ejusdem de horis planetarum. – (A la fin, fol. XCVI
Explicit de horis planetarum Bethen. Ex officina. Petri Liechtenstein, Venetiis, anno Domini ex officina P. Liechtenstein
On note que la version imprimée est plus longue que celle que rend Séla. Elle comporte un appendice de plusieurs pages dont un
développement important sur les « gouverneurs planétaires » (De gubernatoribus mundi ) qui fait suite « De fini libri » et qui pourrait d’ailleurs ne pas être l’oeuvre d’Ibn Ezra.(cf supra) L’imprimé n’est pas découpé en 8 chapitres comme la version éditée et traduite par Shlomo Séla.
L’édition que nous avons publiée en 1977, 30 ans avant l’édition Brill, ne comporte que la première version laquelle est explicitement
greffée sur les 10 chapitres du Principium Sapientiae. Etrangement, cette édition ne se référe pas cependant au Réshit Hokhmah à la
différence de la seconde version.
En fait, la forme choisie pour la seconde version celle traduite en latin par Petro d’Abano soit encyclopédique avec un certain nombre
d’entrées alors que la première s’en tient à suivre le Réshit Hokhmah, chapitre par chapitre et en constitue un véritable commentaire. On pourrait dire que la seconde version du Livre des Raisons est une sorte de « fruit » du Commencement de Sapience comme le serait le Centiloque par rapport à la Tétrabible. et donc pas nécessairement attribuable à Ibn Ezra.
Le début de cette « seconde version » – s’il faut l’appeler ainsi- n’indique pas clairement qu’Ibn Ezra en serait l’auteur et le fait qu’il se
présente comme une explicitation sinon comme une apologie du premier volet du Diptyque n’est pas vraiment déterminant pour confirmer l’attribution au dit Abraham Ibn Ezra.
Le style de cette seconde version nous suprend quelque peu car cela commence par « Nous avons vu que … », répété un peu plus loin. ‘pp 182-. 183) Ed bilingue Séla Est-ce à dire que cela se présente comme une « suite » au Commencement de Sapience? Dans ce cas, il aurait fallu publier cet ouvrage avec les deux versions. Que pensez d’ailleurs de cet usage de la première personne du pluriel qui revient
régulièrement dans cette « seconde » version du Book of Reasons du moins dans les deux premiers chapitres (pp. 185-187) En faitt, au milieu du chapitre II l’on passe de la première personne du pluriel à celle du singulier.(cf p/ 195)
Pourquoi de telles redondances d’une version à l’autre (cf Séla pp. 83 et 217) au sujet des « joies » des planétes dans les maisons
« de l’horoscope » (mundane)? On note en effet que les planétes ont leurs « maisons » de prédidlection dans l’un et l’autre des dispositifs
(maisons et signes)
On reproduira les deux paragraphes dans leur traduction anglaise issus des deux versions:
Version I
The places of joy of the seven (planets). Mercury in the first (mundane) house because both (la planéte et la maison) indicate the soul
Notre traduction de 1977 (p. 275):
Les lieux de joie du septénaire. Mercure dans la première maison car tous deux (maison et planéte) régissent l’âme.
Version II
Joys. Mercury rejoices when it is in the first (mundane) house because it indicates the soul. Mercury also indicates wisdom »
Texte latin
De causa gaudii planetarum
Mercurius gaudet quando fuerit in domo prima quoniam denotat
animam et scientiam & similiter Mercurius.
En fait, nous n’avons pas trouvé un tel exposé sur les « joies » dans le Réshit Hokhmah. On ne le trouve pas non plus dans la Tétrabible.
Le dispositif est un peu noyé dans les 12 maisons et l’on peut penser qu’il devait initialement correspondre à une répartition entre 8
secteurs. Les maisons 2, 7, 8 et 10 ne sont pas associées à des planétes.
Deux questions se posent à ce propos : pourquoi ne parle-t-on pas dans l’Introduction
des Joies? Nous répondrons que c’est parce qu’on en traite dans le second volet qui est en
fait ce que Séla désigne sous le nom de seconde version du Liber Rationum.
Mais pourquoi dans le « vrai » Liber Rationum » se contente-t-on de reprendre ce qui est fourni
dans la seconde version qui lui serait en fait antérieure? Il est possible que la partie explicative ne nous
soit pas parvenue et que nous disposions d »‘un manuscrit inachevé qui comportait des passages à commenter.
On dira donc que l’on connait un passage du Commencement de Sapience par le biais du Livre des Fondements, ce
qui nous conduit à penser que les deux volets nous sont parvenus incomplets, l’un parce que tronqué et l’autre parce qu’inachevé, à l’état de brouillon.
Raphael Levy (The astrological works of Abraham Ibn Ezra, 1927, p.29)
signale deux intutulés différents: un Liber Rationum de causis et
revolutionibus que dicuntur in introductione ad iudicia astrorum »
et le « Liber causarum super hiis que dicuntur in introductorio
Abrache qui sic incipit : initium sapientiae timor domini »
Les différences relatives aux noeuds de la Lune
Nous comparerons le propos de l’auteur tel qu’il se présente dans notre « triptyque »:
Première version Taamim I
trad. Séla (p. 57) : » The Indian Scientists said that the exaltation of the Head of the Dragon is at Gemini 3° and there is the
dejection of the tail (of the Dragon) but Ptolemy laughs at them because the Head of the Dragon is not a star and he is correct »
Seconde version Taamim II (en latin De significatione causarum honoris, Ed 1485)
trad Séla (p. 199) r »The Indian scientists also said the exaltation of the Head of the Dragon is in Gemini and of the Tail is in
Sagitarius. This is nonsense because the Head and the Tail do not give any indication about good fortune or misfortune since it is
the intersection of two circles. But if the Moon is in them(because when it is in the Head it is close to the ecumene), the Moon’s power
is perceptible then but when it is in the Tail its latitude is southern and its power decreasesd. This is also the (astrological) judgment
of any planet when it is in the Head of the Dragon or its Tailm, (…)Hence if one of the planets is in the Head of the Dragon or the Tail,
as recorded in the tables, it will neiter help nor harm. Many say that the Head adds a quarter to the years of life of the ruling planet
and the Tail substracts them in accord with the (astrological) judgment »
Réshit Hokhmah
Au Chap. II, au sujet du signe des Gémeaux (-p. 77 de notre édition):
« Et c’est la maison de Mercure et l’honneur (exaltant) de la tête du Dragon au tiers degré « »
Ibn Ezra semble donc accepter de conférer une place à la Tête du Dragon au même titre que pour Mercure.
On note par ailleurs que dans la version I, on ne trouve pas les noeuds de la Lune dans la succession des planétes
Version I ch/ IV (Séla pp 71 et seq) :
Saturne-Jupiter- Mars – Soleil Vénus Mercure Lune
alors que les deux noeuds figurent dans la Version II :
Soleil- Lune- Saturne- Jupiter- Mars-Vénus- Mercure- Tête du Dragon, Queue du Dragon.
( chap V (Séla pp/ 217 et seq)
Le ton de’ Taamim I est nettement plus sceptique sur le sujet que le Réshit Hokhmah et Taamim II. Cela nous conduit à penser
que Taamim I pourrait être un commentaire critique qui ne serait pas d’Ibn Ezra alors que Taamim II serait un complément
du Réshit Hokhmah. On relévera de façon récurrente la forme « les astrologues disent que » ou bien il parle de certaines notions
au passé comme s’il s’agissait de croyances révolues.
Chapitre II
« Et à chaque planéte, il y avait attribué un domicile dans le lot du Soleil (..) C’est pourquoi les astrologues ont dit que etc »
(p. 240 de notre édition). L’auteur ne ménage pas Ptolémée » Et quant aux termes qu’a signalés Ptolémée il ne faut pas leur
accorder crédit car il dit simplement les avoir trouvés dans un texte antique ». L’auteur n’hésite pas à mettre les astrologues en
dispute : » Et voici une deuxième controverse entre les Anciens » (p. 247) . L’auteur revient aussi sur l’épineuse question de la
précession des équinoxes (p. 249).
Livre des raisons et Livre des « causes ».
On signalera que si la première version mentionne de façon récurrente les « raisons » de tel ou tel dispositif astrologique, ce n’est pas le cas de la seconde version.
Autrement dit, nous ne pensons pas que la seconde version soit réellement explicative et nous pensons aussi
qu’elle reprend des passages de la première version. On peut d’ailleurs se demander si l’expression « Réshit Hokhmah » ne désignait pas initialement le diptyque. Dans ce cas, la seconde version reprendtrait cet ensemble en le pésentant sous une fprme différemment
ordonnée. Rappelons que l’édition latine des Opera Omnia d’Ibn Ezra débute par l’Introductorium quod diciter principium sapientiae »
En fait, c’est là un titre abrégé. A l’intérieur on trouve Introductorium in Judicia Astrorum.
L’étude de la traduction latine de la seconde version nous révéle que le terme récurrent dans le texte n’est pas « ratio » mais « causa »
On ne trouve qu’un cas avec le chapeau « De ratione et causa partium » ) . En fait, il faudrait parler d’un Liber Causarum
et non d’un Liber Rationum. Le terme « Ratio » ne figure qu’au titre de l’ouvrage. En réalité, le
terme se trouve dans un grand nombre de chapeaux mais ceux-ci ne figurent pas dans le texte hébraïque traduit par Shlomo Séla. Inversement, la traduction latine de la seconde version ne comprend pas de division en chapitres.
On notera aussi le ton de l’ouvrage : nombre de paragraphes commencent par « Connais » (Téda en hébreu, « Know »), ce qui n’est
pas vraiment approprié pour un Liber Rationum car on est plus ici dans le style d’une introduction; d’un exposé plutot que d’une
‘explication.. En fait, on a plutôt l’impression que la prétendue seconde version n’est que la suite du Commencement de Sapience et
donc que les Opera Omnia auront tenté de masquer l’absence du vrai Liber Rationum en appelant ainsi la suite en question et en
affublant celle-ci de chapeaux intitulés « causa » et qui, comme le montre l’édition Séla, ne figurent pas dans l’original hébreu.
L’éditeur du texte latin aurait donc recouru à un subterfuge pour masquer une lacune au sein d’un ensemble qui avait vocation et
prétention à être exhaustif en dédoublant le Commencement de Sapience déjà constitué de deux volets et faisant passer le second volet
pour le Liber Rationum disparu mais entre temps retrouvé puisque nous l’avons traduit de l’hébreu comme le fit par la suite Shlomo Séla (cf .notre étude « Le diptyque astrologique d’Abraham Ibn Ezra et les cycles planétaires du Liber rationum, op. cit.)
Les similitudes et différences entre les deux versions
On peut s’interroger sur la raison d »être de l’existence de deux versions qui seraient toutes deux
le fait d’Ibn Ezra à moins que l’une des versions n’ait vocation à remplacer voire à se
substituer à l’autre.
On observera que l’ordre des planétes n’est pas le même dans les deux cas au niveau de leur
description :
Version I ch/ IV (Séla pp 71 et seq) : Saturne-Jupiter- Mars – Soleil Vénus Mercure Lune
Version II chap V (Séla pp/ 217 et seq) : Soleil- Lune- Saturne- Jupiter- Mars-Vénus- Mercure- Tête du
Dragon-Queue du Dragon
Dans la version I les luminaires sont à l’articulation entre planétes « supérieures » (extérieures) et « inférieures » (intérieures)
tandis que dans la version II les luminaires sont placés en tête de la série suivis des supérieures
et des inférieures plus les noeuds de la Lune (Dragon). On ne trouve pas ce sujet traité dans le
Commencement de Sapience pas plus donc que dans la première version du Liber Rationum. De
même l’ordre de présentation des planétes au chapitre IV de la première version du LR est le
même que celui de la dite première version. Si l’on ajoute que le recours au « taam » qui donne
son nom au Sefer Hateamim est bien plus fréquemment utilisé en hébreu dans la première
version que dans la seconde dont il est à peu près absent, il apparait que la seconde version
n’est qu’une pièce rapportée qui aura fini par prendre la place de la première. Selon nous, la
seconde version aura été réaménagée pour apparaitre au sein du diptyque ou bien comme on
l’a dit plus haut, une suite du premier volet qui vient non pas expliciter celui-ci mais le compléter.
ce qui explique que cela commence par « nous avons vu que ». ( ce qui est rendu dans la
traduction latine (de Petro d’Abano. Rappelons que selon nous, Abano fit usage de la traduction romane pour passer au latin(cf notre communication Jérusalem, 1993, op. cit)) imprimée par « vidimus » en hébreu « raynou » , ce qui
indique plus un complément, une suite, qu’un commentaire. L’absence de division en 10
chapitres de la seconde version va dans ce sens.
Bien entendu, il ne faut pas tenir compte des éventuelles additions
qui ont pu être effectuées pour donner le change en tête de l’ouvrage. Par ailleurs,
cette même seconde version du Liber Rationum aura été complétée dans les Opera Omnia par
un document dont il ne semble pas qu’il y ait d »original hébreu et qui n’a pas été rendu par Séla.
On trouve donc tout au début : » Je veux fournir la fondation du Livre du Commencement » Il
n’emploie pas « taam » mais « mossad ». (iesod: base) Dans la première version on mentionne au tout début
« Sefer Hateamim » qui sera dit-on divisé en 10 chapitres (donc sur le modéle du Commencement)
Cependant tout au début, selon nous, aura été ajouté (cf Séla op.cit. p. 189): « Sefer Hateamim »,
Qu’en est-il en latin? Il est annoncé que l’on veut poser les fondements du Principium Sapientiae.
On peut penser que le latin fondamenti rend ici l’hébreu « mossad » et non « taam ». En fait, il y a là
une étrange dualité entre ces deux termes. Nous avions jugé bon en 1977 (il y a 37 ans) de traduire
Sefer Hateamim par Livre des Fondements astrologiques mais nous aurions du en rester à la
forme Livre des Raisons. Il faudrait donc parler pour la seconde version d’un Sefer Hamossad(ot)
et pour la preière d’un Sefer Hateamim. Comme le traduit clairement Séla ; » the foundation of
the Beginning of Wisdom ». alors que pour la première version, Séla indique: Book of Reasons/
Ces quelques observations nous conduisent à penser que la seconde version que nous préférons
appeler livre des fondements, des bases n’est pas le Livre des Raisons. On aurait en fait
un triptyque qui aurait été réduit à un diptyque du fait de la disparition du manuscrit que nous
avons retrouvé à la Bibliothèque de Limoges et qui serait donc plus compler que l’Opera Omnia.
Nous avions déjà esquissé cette orientation dans la revue des Etudes Juives en 1996, en y
publiant une communication que nous avions donnéeen 1992 à Ottawa, au Congrès de la
SIEPM.(cf supra)
Etrangement, quand la seconde version utilise « taam » à propos des maisons (de l’horoscope)
(comme taam Habatim (Séla, pp. 202-203) le traducteur actuel ne s’arrete pas sur l’emploi de
ce terme et rend par » explained the Houses ». Il semble que dans le second volet de ce que nous
appellerons un triptyque, Ibn Ezra ait amorcé un processus explicatif, d’où la présence de
« taaù » de temps à autre, ce qui ensuite aurait débouché sur une approche plus systématique et
le développement d’un troisiéme volet (Première version du Book of Reasons). Autrement dit,
la seconde version serait antérieure à la première, à l’inverse de ce qu’indiqque Shlomo Séla..
Il est intéressant de signaler que dans les notes de S. Séla sur les deux « versions », le mot
« reason » est récurrent dans les passages(en gras) qu’il commente (pp. 111 et seq) de la première
version (Teamim I) alors qu’il ne comporte qu’une seule occurence dans
les notes de la seconde version (Teamim II, pp. 261 et seq). Ce point souligne à quel point
Teamim II est un faux Sefer Hateamim.
Les références à Ptolémée
Il est bon, par ailleurs, d’aller vérifier les références à Ptolémée. Connaissant
assez bien son oeuvre astrologique,- ce qui n’était pas le cas
en 1977, nous avons immédiatement, à la relecture du
Liber Rationum (Première version selon Séla) réagi face au
passage suivant du chapitre III:
« Et Ptolémée dit que les signes de feu relévent du vent du
nord (p 149 de notre édition) et les signes d’eau du vent
d’est . Mais il reconnait que les signes de terre sont
méridionaux et ceux d’air occidentaux. Et Yakub Al Kindi
soutient que les signes de feu sont orientaux et inclinent
vers le nord . Et c’est cela qui est juste’ »
En réalité, le texte de la Tétrabible ne mentionne pas les 4
Eléments et Ibn Ezra n’en parle que par commodité pour
distinguer les deux triplicités masculines entre elles. MAis
ce faisant il induit le lecteur en erreur et le pousse à
l’anachronisme.
Tétrabible : Des trigones (trad. Bourdin (trigonocraties)
« Le premier (…) passe par le Bélier, le Lion et le Sagittaire,[signes
de feu], trois signes masculins (…)
Ce même trigone estt surtout boréal
(donc au nord) (…) Le second trigone se tire par le Taureau
la Vierge et le Capricorne[signes de terre], trois signes féminins
(…)Mais ce trigone est principalement méridional (…)Le
troisiéme trigone passe par les Gémeaux,, par la Balance et
par le Verseau [signes d'air]trois signes masculins (..) Ce
trigone est aussi primitivement de constitution orientale
(Est) (….) Le quatriéme trigone passe par le Cancer,le
Scorpion et les Poissons[signes d'eau] (..) Et ce trigone est estimé surtout
occidental (Ouest) » On notera que l’ordre dans lequel
la Tétrabible ordonne les 4 trigones est celui qui correspondra
à la distribution des Eléments entre les douze signes
du Zodiaque. (Feu, terre, air, eau)
Il reste que la désignation des signes selon les 4 Eléments
n’est pas antérieure au temps d’Albumasar.(IXe siècle) qui
en fait un usage systématique dans son systéme des
Grandes Conjonctions (Jupiter-Saturne)
On notera par ailleurs que les attributions aux 4 points
cardinaux que propose Ibn Ezra ne correspondent pas
tout à fait.Pour le premier, c’est bien le nord, pour le
deuxiéme, c’est bien le sud. Pour le troisiéme et le
quatriéme, en revanche, il y a interversion des
directions.
Si l’on admet que le Centiloque est le « fruit »
du Tetrabiblos, comment se fait-il qu’il y soit question des maisons de l’horoscope
(Sentences 15, 16 19, 39, 41 48, 55, 57, 69, 73, 75, 80, 81, 89, etc) alors qu’il n’en est que très peu question dans
la dite Tétrabible.? On peut aussi se demander si dans certains cas Abraham Ibn Ezra quand il cite Ptolémée ne renverrait pas
plutôt au Centiloque. Nous pensons (cf nos Recherches sur les éditions ptolémaïques, op. cit,) que le Centiloque suit les deux
premiers livres du Tétrabiblos. La preuve en serait que les sentences 95 à 100, donc les dernières, correspondent assez bien
à la fin du Livre II:
Tétrabible Livre II , 10 Des couleurs dans les éclipses, cométes et autres choses de cette sorte
Livre II , 14 De la signification des météores
Centiloque sentences 96 Dans l’horoscope d’une éclipse etc 98 Les divers météores lumineux 99 Les différents météores 100 Quand les cométes etc
De même le prologue du Centiloque est-il adressé à Syrus comme pour la Tétrabible et son ton est comparable sur plusieurs
des premières sentences (notamment les dix premières)
Cela dit, force est de constater que le Centiloque traite des 12 maisons de l’horoscope avec la
spécificité propre à chacune d’entre elles, ce qui est totalement absent de la Tétrabible. Comme
dans le cas de deux documents qui sont censés être liés, on pourrait se demander si certains
passages de la Tétrabible n’ont pas été conservés dans les manuscrits qui nous en sont parvenus,mais
cela pourrait tenir au fait que la Tétrabible ne traite pas d’astrologie « horaire » (avec le thème dressé
pour le moment de la consultation ) et que les maisons étaient réservées à un tel usage. Il est
frappant de noter que Ptolémée aborde les différents domaines relatifs aux dites maisons mais
sans se servir de cette technique pour autant.
En réalité, on l’aura compris, ce n’est pas Ibn Ezra qui attribue à Ptolémée les liens signes-Eléments mais
bien l’auteur du Livre des Fondements Astrologiques (Version I)
L’Encyclopédie Astrologique d’Abraham Ibn Ezra
Dans son ouvrage Abraham Ibn Ezra and the rise of medieval Hebrew Science (op. cit, pp. 57
et seq), S. Séla note que le Sefer Hateamim est divisé en 10 chapitres mais cela ne vaut que
pour ce qu’il appelle la première version. C’est alors qu’il cite notre communication d’Ottawa de
1992 (cf supra). Il note d’ailleurs que le Sefer Hateamim semble ne pas disposer de sa partie
introductive. Il reléve que dans d’autres oeuvres l’ouvrage est signalé comme Sefer Hateamim
Réshit Hokhmah, comme » Livre des raisons du Commencement de la Sagesse. » Séla signale le
débat au sujet de ces deux « versions ». Mais on ne comprend toujours pas pourquoi Séla ne mentionne
ni Le Monde Juif et l’Astrologie de 1985 ni notre édition de 1977 qui sont pourtant référés dans
notre publication dans la Revue des Etudes Juives.
Nous avons pu observer que Taamim I est bien plus critique que Taamim II sur une question comme celle
des noeuds lunaires appelés en Inde Rahou et Ketou. Il est étrange certes que Taamim I affirme que Ptolémée
se moque des astrologues de l’Inde dont il ne devait pas avoir connaissance. Mais force est de constater, à l’issue de notre
enquéte, que Taamim I qui manque dans les Opera Omnia pourrait bien ne pas être d’Abraham Ibn Ezra mais de la plume
d’un critique qui suit le Réshit Hokhmah, de façon beaucoup plus systématique (chapitre par chapitre) alors que Teamim II
serait plutôt une partie complémentaire au Commencement de Sapience.
Le début de Teamim I est d’ailleurs assez typique. « Ils ont divisé », ce qui marque une distance. L’auteur visiblement s’en tient à ce que
dit Ptolémée et rejette les apports ultérieurs. Un autre exemple de ce ton distancie au début du Chapitre II: « Beaucoup commencent
leurs années » Le ton est en quelque sorte ethnologique. Ou encore : » j’ai déjà cherché dans les oeuvres des astrologues la raison des
domiciles et je n’ai rien trouvé de correct si ce n’est qu’ils disent etc « On croirait entendre Bouché Leclercq dans son
Astrologie Grecque (1899) qui aborde l’astrologie comme le ferait un entomologiste.
En fait, il n’est pas rare que des traités critiques comportent un exposé très développé du savoir astrologique. C’est même une des lois
du genre que l’on retrouve encore de nos jours dans le Que Sais-je sur l’Astrologie de Daniel Kunth (2005) et même déjà dans la
première version de 1951 par Paul Couderc. Certains réformateurs de l’astrologie ne sont d’aileurs pas tendres avec ce domaine et
l’on pense à Kepler (Tertius Interveniens). D’ailleurs, Morin de Villefranche quand il s’en prend en 1654 à Nicolas Bourdin, suit son
exposé pas à pas, senetence du Centiloque après sentences. Il peut en effet s’agir de conflits entre différentes approches de l’astrologie
mais en tout état de cause, on ne saurait attribuer le Sefer Hateamim première version à Abraham Ibn Ezra, quand bien même, par
la force des choses, il lui emprunterait beaucoup. (sur les attaques médiévales contre l’Astrologie,
cf notre ouvrage Le Monde juif et l’Astrologie. Histoire d’un vieux couple. ed Arché 1985
(thèse soutenue en 1979 sous le titre La problématique astrologique au prisme des principaux
penseurs juifs du moyen age espagnol. EPHE Ve Section Paris III)
On comprend mieux désormais la présence de formules dans Teamim I comme « Amar Abraham », Abraham a dit que nous avions traduites à l’époque par « Abraham ‘(l’auteur) a dit », en tête des Chapitres IV et X. et qu’on aura laissées par inadvertance quand il s’est agi d’attribuer l’ouvrage au dit Abraham. Dans la version Teamim II, cette expression n’existe pas alors qu’on trouve des formules
semblable mais associées à Ptolémée ou à Alkindi et non à Abraham/
Etrangement, au Chapitre IV, la citation annoncée du texte d »‘Ibn Ezra
n’est pas fournie. Il ne faudrait pas croire que c’est Abraham Ibn
Ezra qui déclare qu’il a déjà mentionné l’explication etc
FOURTH chapter Teamim 1
Fourth Chapter . Abraham said. I have already mentioned the explanation for (the nature)
Of Jupiter and Saturn and the rest of the planets (cf Séla, p. 69)
Signalons une autre anomalie bien plus marquante au Chapitre II
de Teamim I. Alors que le texte ainsi commenté par Teamim I
aborde successivement les 12 signes, le texte qui nous est parvenu de
Teamim I ne va pas au delà du signe du Cancer. En revanche, on y
trouve diverses « digressions » sur les « domiciles » et les « exaltations »
des planétes qui nous semblent devoir avoir appartenu initialement à un
autre chapitre sinon à un chapitre différent. On passe au commentaire
du chapitre V de Teamim I qui est relativement fort court et qui
traite du « bon et du mauvais des planétes ». Etrangement, le chapitre V
de Teamim V commence ainsi « « Il n’est point besoin de chercher
des explications car ce sont choses connues » (p. 276, op. cit 1977) et à
la fin, il est encore dit « le reste des choses est connu et n’exige pas
d’explication ». (p. 279). Tout se passe comme si les éditeurs ayant
trouvé que ce chapitre était fort succinct et n’ayant pas compris
qu’une partie du chapitre se trouvait dans le chapitre II, ont cru bon
de laisser entendre que le commentateur n’avait pas cru bon de
développer.
La présentation de Séla concernant l’Astrologie « mondiale »
Dans un autre ouvrage, Shlomo Séla traite de cette branche de l’Astrologie ( Abraham Ibn Ezra. The Book of the World. Brill 2010)
notamment au regard des relations/conjonctions entre Jupiter et Saturne (pp. 19 et seq et 57 et seq). Signalons que la notion de
triplicité, de trigone, est présente au Livre I de la Tétrabible mais sans la moindre association avec les 4 Eléments. Ptolémée signale
simplement que les trois signes d’une même triplicité sont de même « sexe » .
Ibn Ezra ne semble guère enthousiaste au regard de ce binome constitué par les deux planétes les plus lentes et donc les plus
lointaines. Il ne saisit pas vraiment l’intérêt pour l’astrologie de se polariser sur le seul « ballet » de Jupiter et de Saturne. Or, un tel systéme sera appelé à une fortune remarquable pendant sept ou huit siècles et notamment retiendra l’attention à la fin du XVIe siècle
d’un Jean Bodin, dans sa République?
L’exposé d’Ibn Ezra sera donc au final fort succinct et l’on ne
s’étonnera pas que le Réshit Hokmah tout comme son « double » critique, le Sefer Hateamim (I) en traite en bien peu de lignes, au dixiéme et dernier chapitre, dans les deux cas. (cf Séla, ed Abaham Ibn Ezra. The Book of the World, A parallel Hebrew
English edition of the two versions of the Text, p. 29-32 et 259 et seq). Ce qui nous renvoie aussi au Xe chapitre du Sefer Hateamim don’t nous avions publié la traduction conjointement , lequel ouvrage serait selon nos réflexions actuelles non pas d’Abraham Ibn Ezra mais sur Abraham Ibn Ezra.
L’exposé d’Ibn Ezra sur la théorie d’Albumasar est au demeurant fort succinct / On nous y expose le passage de la conjoncton Jupiter-Saturne (- nous en avons traité amplement dans notre post Doctorat, EPHE 2007, Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle ainsi que dans Le Monde Juif et l’Astrologie. Ed Arché, Milan, 1985) Selon nous, la théorie des Grandes
Conjonctions péche du fait de l’introduction des Triplicités (les 4 Eléments répartis entre les 12 signes) du fait que chaque fois que
les conjonctions de Jupiter et de Saturne se produisent – environ tous les 240 ans selon les calculs très approximatifs de l’époque – on
entrerait dans une nouvelle phase, ce qui n’ a aucun substrat astronomique. Vaste débat qui ne cessera de diviser les astrologues sur
la dose d’astronomie à instiller en astrologie et sur les libertés que l’astrologie peut prendre par rapport au référentiel astronomique.
Dans le Livre des Fondements (Ed Retz , op. cit. p.302), il est renvoyé in fine au « Livre du Monde », renvoi qui ne figure d’ailleurs pas dans le Commencement de Sapience.(voir p. 219). Cela dit, l’auteur du livre des fondements émet des réserves.(cf aussi la traduction de ce passage par S. Séla, in Abraham Ibn Ezra. The Book of Reasons. Ed Brill, 2007, p. 107., cf aussi Séla, sur la première “version” du Book of Reasons, fin du chapitre X, p. 179)
Séla écrit : » Cyclical Astrology is dealt with almost exclusively in the tenth chapter of Réshit Hokhmah » Mais en fait l’exposé en question se situe dans les toutes dernières pages de cet ouvrage (cf Séla p.267) soit une douzaine de lignes ! Et pas davantage dans le « commentaire » que constitue le « Book of Réasons » (Sefer Hateamim). En fait, on a vraiment l’impression qu’il s’agit là d’une addition. Il nous semble que le Livre des Raisons aura été ainsi attribué à Ibn Ezra du fait de ses dernières lignes quand l’auteur se référe au Livre du Monde. Or, Séla note que la partie consacrée aux conjonctions Jupiter-Saturne n’est pas traitée dans le dit Livre du Monde (Sefer haolam.(cf supra, voir Séla, Book of Reasons, op. cit. p. 179)
Un exposé aussi succinct nous semble assez dérisoire au sein du Commencement de Sapience et le commentaire qui se trouve dans le Livre des Fondements l’est tout autant, ce qui peut nous faire penser qu’il a été rajouté pour donner le change.
Cette omission est d’ailleurs d’autant plus étrange qu’Ibn Ezra se sert volontiers des 4 Eléments associés aux 12 signes du Zodiaque, dispositif quii aurait été mis en place lors de l’exposé de la théorie des Grandes Conjonctions. Il faut y voir un paralléle avec les additions qui ont été effectuées à la suite du Liber Rationum dans la version latine des Opera Omnia (1485, trad. Abano) et qui traitent elles aussi d’astrologie « mondiale » avec l’exposé de la théorie des âges planétaires de 353 ans chacun. Ce développement additonnel, soulignons-le est absent de l’édition en hébreu du dit ouvrage par Séla. (cf notre précédente étude sur le travail de S. Séla).
Le Sefer haOlam (Iere version) se référe d’entrée de jeu sur un mode critique au De conjunctionibus d’Albumasar (cf l’étude Richard Lemay, Beyrouth 1962)/ Ibn Ezra rappelle qu’il y a 120 conjonctions. On est donc loin de la seule conjonction de Jupiter et de Saturne (cf Sélan op. cit. pp. 53 et seq). C’est dans la seconde version du Bookl of the World (Séla, op. cit pp 157 et seq) qu’Ibn Ezra traite d’entrée de
jeu de la « conjonction de Saturne avec Jupiter au début du signe du Bélier qui se produit tous les 1000 ans environ ». Ibn Ezra reconnait
alors que certes, il y a 120 conjonctions mais la dite conjonction Jupiter-Saturne constitue l’axe central de tout le processus
conjonctionne. Et dans cette seconde version, Ptolémée est désigné systématiquement en sa qualité de roi, ce qui n’était pas le cas dans les autres oeuvres.
On a vraiment l’impression d’une addition quand on compare les deux versions mais il nous apparait que la seconde version
correspond à la référence figurant à la fin de la « première » version du Sefer Hateamim (que nous avons traduite en 1977).
Sefer Haolam 1 (trad. Séla)
« There are 120 conjunctions(of the seven planets). » sans développement sur la conjonction Jupiter-Saturne.
Sefer Haolam 2 (trad. Séla)
We know that there are 120 conjunctions of the seven planets and each conjunction has its own judgment and verdict. Bur the
great conjunction of Saturn with Jupiter at the begining of Aries, which happens once every thousand years or close to that-is the root. This is how it works, every 20 years they conjoin on the house of one triplicity etc »
On note l’interpolation sur les conjonctions Jupiter-Saturne et leur rôle absolument central.
Sefer Hateamim 1 (Halbronn 1977, p. 302):
« Et ce que nous avons dit au sujet des planétes supérieures (Jupiter et Saturne) …j »explique cette question dans le Livre du Monde »
Plusieurs questions se posent à nous:
- il apparait clairement qu’un certain lien existe entre le Sefer Haolam en sa « seconde » version et le Sefer Hateamim en sa « première » version. – il apparait que la première version du Sefer Haolam ne comporte pas de référence aux conjonctions Jupiter-Saturne comme le fait la
première. On a affaire à un ajout.
-le Réshit Hokhmah en son Xe et dernier chapitre développe un exposé sur les conjonctions Jupiter-Saturne,(cf Halbronn, op cit pp 218-219) « Et ainsi dois-tu mener (diriger) la grande conjonction jusqu’à ce que translatent Saturne et Jupiter de triplicité en triplicité
jusqu’à ce qu’ils retournent à leur premier liey et ce sera en 960 ans »
Il nous semble que tout ce qui est relatif à la théorie qui place au centre la succession des conjonctions de Jupiter et de Saturne est rajouté comme si Ibn Ezra s’était « converti » à cette théorie, dans un second temps. On observe qu’il n’ a que peu de place pour ce faire comme si une telle addition avait été réalisée in extremis, tant dans le Réshit Hokhmah que dans le Sefer Haolam II mais aussi dans le Sefer Hateamim I., où l’on trouve en gros trois fois le même bref exposé. On a déjà dit que nous trouvions étrange que le Sefer Hateamim se référe au Sefer Haolam. Nous pensons que le Sefer Hateamim I a du être intégré aux Opera Omnia d’Ibn Ezra à une certaine époque-
mais il ne sera pas retenu dans l’édition latine de 1485 qui ne comporte que le Sefer Hateamim II. On peut supposer que l’on aura voulu
introduire dans ces premières Opera Omnia (comportant Sefer Hateamim I) un exposé sur les grandes conjonctions Jupiter-Saturne en divers endroits, donc dans les trois passages que nous avons cités et qui se trouvent pour deux d’entre eux (Réshit Hokhmah et Sefer Hateamim I) tout à la fin et pour l’un d’entre eux tout au début (Sefer HaOlam II)
Or, si l’on compare avec l »édition latine imprimée (1485), le Livre du Monde ne correspond à aucune des deux versions traduites
par Shlomo Séla. On a affaire à un exposé sur les conjonctions Jupiter-Saturne (propre à la secone version) mais avec un développement sur le De coniunctionibus d’Albumasar qui se trouve dans la seule première version. On peut donc se demander si la première version
de Sefer Haolam I n’aurait pas été tronquée et que le passage supprimé serait réapparu dans Sefer Haolam II mais sans le chapeau
introductif sur Albumasar dont le nom n’est même pas cité dans Sefer Haolam II. (cf Shlomo Séla Abraham Ibn Ezra and the rise of Medieval Hebrew Science, Brill, 2003, pp. 149, 163-164)
On rapprochera aussi ce passage de deux sentences du Centiloque
ouvrage qui est considéré avoir été réalisé à peu près du
temps d’Ibn Ezra:
Sentence 50 Ne délaisse aucune des cent dix-neuf
conjonctions. Car en elles s’établit la connaissance des
choses qui dans ce monde sont sujettes à génération et
corruption »
On est très proche de 120 conjonctions évoquées plus haut.
Sentence 63 : Quand Saturne et Jupiter sont conjoints,
regardde lequel est le plus élevé et prononce selon la nature
de celui-là. fais aussi de même pour les autres étoiles »
(trad. Nicolas Bourdin)
Rappelons aussi que Sefer Haolam II présente
Ptolémée comme le Roi Ptolémée, ce qui n’est nullement le cas de Sefer Haolam I.. Cette forme se retrouve dans Sefer Hateamim II
(cf Séla, op. cit. p. 243 au chapitre VII § 7), ce qui explique que dans l’index on trouve l’entrée Ptolemy (The King) qui recouvre
malencontreusement toutes les références à Ptolémée. Dans l’index du Book of the World, la mention King après Ptolemy ne figure point, en revanche. Comment expliquer une même occurence dans Teamim II et dans
Sefer Haolam II? On notera que cet usage n’est nullement systématique dans Teamim II alors qu’il est doublement attesté dans Olam II (pp 161, 163 à chaque fois que le nom de Ptolémée est mentionné. (cf S. Séla, Shlomo Séla Abraham Ibn Ezra and the rise of Medieval Hebrew Science, Brill, 2003, pp. 296-305)
Il y a certainement eu des interpolations, des additions qui ne sont pas nécessairement de la plume d’Abraham Ibn Ezra et cela ressort d’une certaine hétérogénéité de l’ensemble. Le fait, en
tout état de cause, que le Sefer Hateamim I comporte in fine des références à des oeuvres d’Ibn Ezra ne saurait nous apparaitre comme
la « preuve » qu’il doive lui être atttribué. On aura brouillé les pistes par des ajouts au début ou en fin d’ouvrage. Ainsi, peut-on parler
d’une « critique » benezraïque comme il en existe une pour la Bible ou pour Nostradamus avec la possibilité de plusieurs rédacteurs.
Nous terminerons en soulignant le point suivant, à savoir que dans Teamim I, à deux reprises (cf supra), le chapitre commence
par « Abraham a dit », ce qui nous autorise à placer cette oeuvre hors du canon abenezraique bien qu’elle y ait été intégrée, si ce n’est
qu’elle n’aura pas été retenue dans les éditions imprimées de la fin du XVe siècle qui paraissent parallélement à celles de Jaffar alias
Aboumashar (Albumasar). De façon assez surprenante, Shlomo Séla ne reléve cette bizarrerie dans ses notes alors que ce point nous
semble décisif et vient vient confirmer les différences de ton et de contenu entre le Réshit Hokhmah et Teamim II d’une part et
Teamim I de l’autre. Il ne semble pas que dans le Réshit Hokhmah, on trouve « Abraham a dit ».
En conclusion, nous pensons que Teamim I est un commentaire du
Réshit Hokhmah et non une oeuvre d’Ibn Ezra. Son intérêt tient à
l’approche critique, historique, qui le caractérise sans que l’on doive
nécessairement le classer dans la littérature proprement anti-astrologique.
Encore faut-il préciser que la frontière n’est pas nettement marquée
entre les différents discours sur l’astrologie. La lecture de Kepler,
par exemple, peut apparaitre comme parfois assez hostile envers
l’astrologie et d’ailleurs ne pourrait-on utiliser pour l’auteur de
Teamim I la même expression que le dit Kepler, au début du XVIIe
siècle, s’appliquait à lui-même, celle de « Tertius Interveniens »?
Eléments bibliographiques:
Raphael Levy The astrological Works of Abraham Ibn Ezra, PUF Paris 1927 et The Begining of Wisdom. An astrologica Treatise by
Abraham Ibn Ezra, Les Belles Lettres Paris 1939 (versions romane, anglaise, et hébraïque) qui servit à notre édition de la version
romane modernisée (1977)
Y. T. Langermann Some astrological Themes in the Thought of Abraham Ibn Ezra in
« I. Twersky & Jay M. Harris;, ed. Rabbi Abraham Ibn Ezra : Studies on the writings of a twelfth century jewishh Polymath
Harvard University Center for Jewish Studies. 1993
J. Vernet Cinetica y Astrologia en Abraham Ben Ezra, Actas del Simposio Internacional. Madrid 1989
in F. Diaz Esteban ed. Abraham Ibn Ezra y su tiempo/ Asociacion Espnola de Orientalistas,
Madrid 1990 Vernet qui avait préfacé notre Monde Juif et l’Astrologie y mentionne nos travaux (pp. 384-386). Il ne semble pas
que Séla ait pris connaissance de cette étude et notamment de la Préface de Georges Vajda à notre édition du diptyque.
Shlomo Séla Abraham Ibn Ezra and the rise of Medieval Hebrew Science, Brill, 2003.
JHB
22 09 14