Café philo ou Salon philo?
Posté par nofim le 16 septembre 2014
Du café philo au salon philo. Les formes de sociabilité.
par Jacques Halbronn
Aucun principe n’est valable de façon constante. Cela dépend.
Il est des solutions d’attente qui ne sauraient être confondues
avec l’idéal. Cela nous raméne aux exemples tirés de notre
mode d’alimentation. Tout tourne en fait autour de la
question du partage. Partage de la nourriture, du temps de
parole, des responsabilités dans le cas des réunions de
type café-philo qui sont emblématiques de notre
problématique, d’où l’intérêt que nous leur avons
récemment accordé sous un angle ethnométhodologique en
tant qu phénoméne révélateur au point d’avoir envisagé
d’interviewer des gens sur ce sujet. En effet, certains
ont rédigé des « régles », qui visent en fait à modéliser un
mode de communication selon leurs voeux, ce qui n’échappe
pas à l’utopie parfois la plus cauchemardesque.
Nous commenterons un texte récemment distribué et qui
date de 2003 intitulé « Café débat : régles de fonctionnement »
dont l’auteur est Robin Branchu, animateur d’un café
philo à Bernay (Eure).
On en citera quelques passages remarquables qui méritent un
commentaire:
« retarder ses réflexes d’intervention »
« les interventions doivent être concises »
-en principe le rôle de l’animateur s’arrête là, c’est à dire
après avoir présenté les régles de fonctionnement »
-deux types de débats: ordonnés et désordonnés.
-tentation de couper la parole
-Si on accepte les discussions par petits groupes, nous
ne formons plus un groupe(…) ça n »est plus un café
philosophique »
-Il me faudra intervenir pour empêcher quiconque de couper
la parole »
-Si! On peut laisser dire même n’importe quoi et y répondre
plus tard!
Notre commentaire:
On est là en face d’un texte qui prône une égalité dans
la distribution du temps entre tous les participants et qui
va jusqu’à considérer que l’on peut carrément se passer
d’un « meneur de jeu »,ayant la charge de « recentrer » les
prises de parole. Et de conclure que cela se passe très bien
et que tout le monde est content de la sorte.
A notre avis, on fait là de nécessité vertu et cela nous fait
penser à la formule « quand le chat n’est pas là, les souris
dansent ». On est visiblement dans un rejet du « centre » et
en faveur d’une forme d’anarchie non pas quant aux régles
mais sur le fond du débat qui est de traiter d’une certaine
question ensemble certes mais en avançant au fil du temps
qui passe (qui est généralement de deux heures). Nous y
voyons le symptome d’un certain malthusianisme qui n’attend
pas de progrès mais gère les acquis, ce qui débouche sur
le partage entre tous puisque l’on ne croit plus à un nouvel
apport qui pourrait en émerger.
Robin Branchu s’en tient à des régles qui constitueraient
l’identité du genre « café philo » mais il semble au contraire
qu’il passe à côté de l’essentiel.
Cela dit, nous même, avons organisé en 2004 un grand
congrès sur 3 jours( on le trouve filmé sur You Tube
(chaîne Jacques Halbronn) qui correspondait assez bien
à cette méthode. Nous étions ainsi parvenu à faire intervenir
un très grand nombre de personnes, autour de six
commissions qui pourraient correspondre à autant de
café philos. On pourrait d’ailleurs annuellement organiser
ainsi un grand congrès réunissant plusieurs café philos
en plusieurs salles et sur plusieurs jours, le tout dûment
enregistré (audio/vidéo).
Mais l’on en revient au fonctionnement idéal des cafés
philo : faut-il s’en tenir à des prises de parole réparties
-et donc rationnées- entre tous les participants s’étant
inscrit pour s’exprimer autour d’un thème central ou bien
s’agit-il de constituer un débat qui peut en effet devenir un
combat d’idées entre des gens qui savent défendre leur
point de vue aussi bien qu’interpeller les autres
intervenants? A partir de quel moment, peut-on parler d’un
vrai « débat » (titre du texte de Robin Branchu) Est ce que
le seul fait de découper le gâteau du temps de parole entre
tous ceux qui veulent dire quelque chose peut faire un débat?
Qu’est ce qu’un débat? Voilà un bon sujet de café philo.
Nous dirons que dans un débat celui qui expose, s »expose et
il doit en assumer les conséquences de façon responsable.
Nous trouvons notamment un peu léger de voter sur des
sujets que l’on n’a même pas pris la peine de préciser par delà
une formulation des plus « sibyllines ». On nous répond que
lorsque le sujet sera choisi, on s’en expliquera. Mais ce sera
après le vote alors qu’il faudrait que cela se passât avant le
vote. Un exemple d’une dérive surréaliste des cafés philo
où l’on se délecte de lancer des sujets dont on a absolument
pas la maîtrise et qui sont en fait simplement des questions
que l’on pose et que l’on se pose. Dans ce cas, qui va gérer
le débat si le sujet est lancé et voté de façon aussi
désinvolte? La personne qui a fait passer son sujet sans
le définir va-t-elle porter le poids du débat si elle n’a pas
la faculté de comprendre ce que disent les uns et les autres?
Il arrive que les personnes censées responsables ne sont
pas à la hauteur et donc il faut bien que d’autres dans
l’assistance prennent le relais. Mais il y a là une crise du
systéme car ce faisant, ceux qui assument une tâche mal
assumée se verront reprocher de perturber la réunion alors
qu’ils cherchent au contraire à la sauver en dépit des dites
insuffisances. On voit donc que l’on nous oblige à accepter
l’autorité de personnes incompétentes à animer , et à recentrer
le débat après chaque prise de parole (cf Raphaël Prudencio
comme exemple à suivre). En fait, c’est bien là que le bât
blesse: les personnes qui se mettent en avant vont, comme
le veut le principe de Peter, dépasser leur seuil de compétence.
Il est donc bon selon nous, que la responsabilité du débat
soit mise en place au cours du débat au vu des personnes
qui interviennent dans la première demi-heure. Il ne suffit
pas de voter un sujet mais de déterminer qui va en garantir
la dynamique et ce ne sera pas forcément ni celui qui aura
suggéré initialement le sujet ni le préposé à l’animation
On évitera donc toute rigidité. L’incompétence est la plus
grande source de désordre et la compétence, on l’aura
compris, ne saurait se réduire à la tenue des listes de ceux
qui ont levé le doigt et du temps de parole. Etre concis
ne se limite pas à parler peu de temps mais exige un vrai
contenu qui ne parte pas dans tous les sens.
Robin Branchu nous fait un éloge du »retard ». Il faudrait
apprendre aux gens à attendre pour prendre la parole. Ce serait
meme là tout l’enjeu de l’exercice. C’est en fait le seul
bénéfice que son « traitement » apporterait: s’habituer à ne
pas réagir tout de suite à ce qui a été dit. On bascule là
dans une forme de thérapie ou de jeu pour enfants de 8 ans.
Ce qui n’est pas la vocation, il nous semble des cafés philo
mais un fantasme d’éducateur. Robin Branchu s’est donné
pour mission de nous éduquer, d’acquérir de bonns manières.
Cela dit, nos travaux sur la cyclicité nous enseignent qu’il
est des périodes (altérité extérieure) où la dynamique
externe prévaut, celle du groupe, sur la dynamique interne,
celle du cerveau. Dix personnes discourant entre elles feraient
selon Robin Branchu, un meilleur travail que deux philosophes
reconnus (Ferry/ Sponville) comme »professionnels ». On est
en pleine démagogie! Mais il est vrai qu’à certains moments
de pénurie « intérieure » – et cela dépendrait d’une certaine
cyclicité energétique- on est bien obligé de recourir à de tels
pis allers, à des ersatz, à des succédanés, comme dans le
domaine alimentaire et vestimentaire sous l’Occupation.
On est dans le nivellement par le bas et non plus par le haut.
Et puis revient le temps d’un réveil energétique et les
solutions d’attente n’ont alors plus leur raison d’être et
doivent être remisées jusqu’à nouvel ordre.
Pour le cyclologue, la période actuelle est intéressante
précisément du fait du passage qui est en train de s’opérer et
dont nous avons traité ailleurs et l’on assiste en effet depuis
quelque temps à une remontée de la cote des leaders, pas
forcément de ceux qui sont actuellement au pouvoir d’ailleurs.
Si l’on en revient aux extraits du texte de Robin Branchu,
on note que le seul moment où on a le droit d’intervenir
sans que ce soit notre tour c’est pour dénoncer les manquements
des autres. C’est en fait à cela qu’il faudrait surtout être
attentif, aux aguets. On peut aussi demander à un Chinois
qui ne comprend pas le français d’animer le débat puisque
la seule chose qui compte, ce sont les comportements
extérieurs: on parle trop longtemps, on parle avec son
voisin, on coupe la parole. On peut envoyer Robin Branchu
animer un débat chez des gens dont il ne comprend pas
la langue, il fera très bien l’affaire!
En ce qui concerne le risque que se constituent de « petits
groupes » dans une assemblée nombreuse, nous ne voyons
pas réellement d’objection pourvu qu’à certains intervalles
chaque groupe résume son travail de groupe. Nous avons
d’ailleurs filmé le Forum de l’évolution de la conscience
(octobre 2013) qui prévoyait un tel mode de fonctionnement.
La formule de groupes de six personnes autour d’une table
nous semble bien fonctionner quand cela est complété par
une ‘ »assemblée plénière » où les porte paroles de chaque
groupe interviennent. Il est clair que lorsque l’on est trop
nombreux et que l’on n’est pas dans a proximité visuelle,
tout devient artificiel. On communique certes par la parole mais
la relation est d’abord non verbale. Evitons que le café
philo devienne une usine à gaz. Il est bon de préciser les
régles implicites des conditions du débat mais les régles
ainsi devenues explicites se révélent souvent très
appauvrissantes et réductrices et ne font pas la part de ce
qui « va de soi », du « non dit » qui sous tend le rapport social.
On nous dit qu’il ne faut pas céder à nos ‘réflexes » mais
notre rapport à l’autre passe par le réflexe qui nous permet
d’être en phase avec la dynamique en cours au lieu de la
casser en intervenant sans prendre en compte celle-ci qui
est -rappelons-le- dans ce qui se dit. Celui qui parle sans
se faire l’écho de ce qui est en train d’être pensé ne respecte
pas le véritable esprit du café philo qu’il ne faut pas confondre
par exemple avec un autre phénoméne que nous avons suivi
il y a quelques années qui est celui des soirées poésie, autour
d’un thème, où chacun arrive avec son texte. (cf la Cave à
poémes de J. F. Trougnoux). On peut aussi penser aux
scénes ouvertes (comme l’Echelle à Coulisses de Marielle
Frédérique Turpaud qui tient aussi un café « honoré-philo)
mais il semble bien qu’il y ait là le risque d’une certaine
confusion des genres. Le texte proposé par Robin Branchu
correspond mieux à la formule des clubs de poésie!
A propos de réactivité, on rappellera qu’avant de réagir, il
importe de prendre le temps de comprendre ce qui est dit
et donc nous pensons que dans un premier temps de la réunion,
il importe déjà de clarifier de quoi il retourne au lieu de
partir sur les chapeaux de roue. Il est donc souhaitable d’attendre
avant même de demander la parole et il y a des gens qui
demandent la parole prématurément et qui feraient mieux
de profiter du débat qui prend forme peu à peu .
On nous parle d’interventions qui doivent être « concises »
mais de deux choses l’une, ou bien l’on s’exprime librement
« à bâtons rompus » et aussi souvent que l’on veut mais en
se greffant sur ce que les autres disent, en très peu de mots
ou bien on léve le doigt, figure sur une liste d’attente et
ce qu’on aurait pu dire en 20 secondes on l’exprime en
7 minutes puisque l’on ne parlera qu’une seule fois. Pour
notre part, nous préférons un travail réellement collégial
où les phrases « concises » fusent et se précisent au fur
et à mesure de l’échange. Au nom de la concision, on entend proposer
des sujets formulés de façon lapidaire et l’on nous demande parfois de voter
pour élire un des sujets que personne n’a pris la peine de préciser et de développer
préalablement à tout vote. La personne qui propose le sujet dans bien des cas n’en a pas
la maitrise. La concision masque souvent mal une pensée creuse.
Evitons le double bind!
La formule du café philo se distingue de la scéne ouverte
(souvent liée à un squatt) au fait que l’on n’y distingue pas
ceux qui sont acteurs et ceux qui sont spectateurs. Il n’y a pas
de « scéne », on ne monte pas sur une estrade pour prendre la
parole, on s’exprime de sa place, en restant assis. Il serait
peut être dissuasif de demander que toute prise de parole
implique de se mettre en avant ne serait-ce que le temps
de l’intervention. Mais en même temps, l’on tend à se
rapprocher des conversations de salon au point que l’on
pourrait parler d’une nouvelle ère des salons et que la formule
des « salons-philo » serait au fond la plus heureuse. On
dirait ainsi le salon d’Un tel ou d’ Un tel qui recevrait chez lui
ou dans un lieu mis à sa disposition régulièrement comme
cela se pratique. (cf Raphael Prudencio à la Rotonde de la
Muette, cf site accord philo)
Nous dirons que les participants à ces réunions doivent
prendre conscience que leur discours est nécessairement
influencé par tel ou tel auteur, quand bien même ne
l’auraient-ils pas lu ou n’en auraient-ils point gardé le
souvenir. Il serait quand même étonnant que parce que l’on
ignore les influences qui pésent sur notre pensée, nous
puisssions nourrir l’illusion d »une quelconque originalité.
Le rôle des « convives » et du maître de céans est de
participer , de contribuer à une telle prise de conscience
mais aussi de faire apparaitre de vraies lignes de clivage
qui sont la condition nécessaire à toute tenue d’un débat
authentique qui doit être l’aboutissement de la rencontre.
Recentrer les interventions de la part de l’animateur impliquera
donc qu’il sache resituer les prises de parole des uns et
des autres en « élevant » le débat.
.
JHB
22 09 14
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