La notion de refoulement (Verdrängung) chez Marx et chez Freud.
Posté par nofim le 21 octobre 2014
Le nivellement de la société prolétarienne par les machines et le processus de refoulement (Verdrängung) de l ‘homme chez la femme
par Jacques Halbronn
D’aucuns ont cru bon de rapprocher le Manifeste du Parti Communiste d’un autre « Manifeste », celui
rédigé par Victor Considérant, quelques années plus tôt. (cf Sorel, W. Tcherkessof; Antony Cyril
Sutton) mais la comparaison des deux textes n’en fait pas moins apparaitre ce qui constitue, à nos yeux,
l’apport principal de Marx à savoir le lien qu’il établit entre l’essor du machinisme et l’égalité des hommes et des femmes devant le travail, point qui n’est guère soulevé par Considérant qui ne mentionne le terme « machine » qu’une seule fois : « C’est contre des machines qui ne dépensent plus que quelques centimes par force d’homme ». Autrement dit, si Marx emprunta éventuellement à Considérant, son discours sur les femmes nous apparait comme un apport qui lui est propre mais qui, paradoxalement, n’aura
pas été mis en avant par les commentateurs comme cela aurait du l’être.
Nous insisterons dans le présent texte sur les effets du machinisme sur le statut de la femme, phénoméne
qu’il décrit dès le milieu des années 1840. En effet, on note ainsi qu’un tel rapprochement entre deux
questions, celle de la machine et celle de la femme, était déjà clairement formulé, ce qui ne peut
que nous interpeller en ce début de XXIe siècle de par son caractère prophétique. Nous aborderons à
cette occasion les emprunts de l’allemand au français en rappelant que la Rhénanine était restée très marquée par l’occupation française. Il serait intéressant, par ailleurs, de déterminer de quelle façon
Marx et Engels ont pu être influencés par d’autres auteurs sur cette question Machines/femmes mais
cela ne sera pas ici notre préoccupation.
Nous nous contenterons dans un premier temps de citer des passages du Manifeste du Parti
Communiste en traduction française: v
Bourgeois et Prolétaires:
« L’extension du machinisme et la division du travail ont fait perdre au travail des prolétaires tout
caractère indépendant et par suite tout attrait pour l’ouvrier. Celui-ci n’est plus qu’un accessoire de
la machine et l’on n’exige de lui que le geste le plus simple, le plus mootone, le plus facile à apprendre. Les
frais qu’occasionne l’ouvrier se limitent donc à peu près uniquement aux moyens de subsistance dont il
a besoin pour son entretien et la reproduction de sa race. Or le prix d’une marchandise, donc aussi
du travail,est égal à ses frais de production (…) A mesure que s’accroissent le machinisme et la
division du travail la masse du travail grandit ausssi, soit par l’augmentation des heures de travail, soit par
l’augmentation du travail exigé dans un temps donné, par l’accélération de la marche des machines etc.
(….) Des masses d’ouvriers (…) ne sont pas seulement des esclaves de la classe bourgeoise, de l’Etat bourgeois, ils sonr chaque jour et à chaque heure asservis par la machine (…) Moins le travail manuel exige d’habileté et de force, c’est à dire plus l’industrie moderne se développe, plus le travail des hommes est supplanté par celui des femmes. Les différences de sexe et d’âge n’ont plus aucune valeur sociale pour la classe ouvrière. Il n’y a plus que des instruments de travail dont le coût diffère selon l’âge et le sexe »
(pp. 82-83 trad. Emile Bottigelli, Ed G. F. Flammarion 1998) – traduction très proche de celle de Laure Lafargue, fille de Marx (1848), revue et corrigée
par F. Engels (Ere Nouvelle, Rééd
Champ Libre 1983)
Quelques observations sur l’original allemand, pour les quelques paragraphes concernés : on trouve Maschinerie et Maschine que le traducteur français rend pareillement par « Machine » (cf Marx Engels,
Kommunistiches Manifest 1848-1948 , Kaiserslautern et fac simile Londres 1848 in fine de la réédition de la traduction
française de Laura Lafargue, Ed Champ Libre 1983, en caractères gothiques)
Parmi les termes français utilisés dans ce passage du Manifeste, relevons notamment dans le texte
allemand: : Bourgeoisie, Kapital, Proletariat, Klasse, modern, Artikel, Konkurrenz, Markt,
Proletarier, Charakter, Kost, Rasse, Preis, Produktion, Masse, Industrie, patriarchal, Fabrik, soldatisch, organisiert, Hierarchie, Offizier, Bourgeoisklasse, Despotie, proklamiert. Instrumente »
Rappelons aussi l’influence des mots français dans le titre même : Manifest der kommunistischen
Partei. (cf ed Th. Stammen et Ludwig Reichart, Ed Wilhelm Fink, Munich 1978)
Ainsi, si Marx n’ a pas nécessaitement « plagié » Victor Considérant et son Manifeste de l’Ecole
Sociétaire (Paris 1847 BNF 16° R 5204), il est en revanche évident que l’allemand économique et social de
Marx et Engels doit beaucoup à la langue française (cf notre étude sur les emprunts au français
du Judenstaat de Herzl, in Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siècle, Ed Ramkat 2002)
Mais revenons à ce nivellement du travail vers le bas qui retient notre attention au coeur du « Manifeste Communiste ».
Il est intéressant de noter que dès les années 1840, la question du travail des femmes à l’usine est ainsi
mise en avant du fait de la machine et de la division du travail qui en découle. (cf le taylorisme). La
machine abolirait toutes les distinctions d’âge et de sexe, à entendre Marx mais bien entendu cela vaut
surtout pour la société prolétarienne.
Avec le recul de plus d’un siècle et demi, force est de constater que ce que Marx déplorait dans son
Manifeste est devenu une valeur, un idéal, celui de l’égalité entre hommes et femmes. On aura fait de
nécessité vertu.. Ce nivellement est devenu une bénédiction providentielle! Il suffit de noter comment
l’on relate en ce centenaire de la Guerre de 14 l’entrée des femmes à l’usine, du fait du départ des hommes au front. On les appelles des « remplaçantes » et on y voit une victoire pour la cause des femmes.
Or, il ne semble pas que telle ait été la philosophie des auteurs du dit Manifeste.
Mais on peut aller plus loin et souligner que cette égalité ne vaut que pour un travail en miettes ( Fourastié)
aux antipodes de celui de l’artisan qui est ici mis en paralléle. A contrario, il découle que plus le travail
est sophistiqué, et moins un tel nivellement serait à craindre. Le travail de haut de gamme n’est guère
de ce fait sujet à cette domination de la « Maschine ». Il est évident que les premières victimes de ce
nouveau Léviathan qu’est la « Mashinerie » (dans le texte allemandà sont à trouver au sein du prolétariat. Peut-on dire ainsi que la société prolétarienne aura constitué une avant garde d’une société « idéale » telle qu’appelée de ses voeux par l’idéologie féministe?
Sans connaitre ces passages du Manifeste du Parti Communiste, nous étions parvenus aux mêmes
conclusions mais à une plus grande échelle bien au delà du prolétariat. Le probléme reste posé : les femmes
progressent étrangement avec les machines. Plus les machines sont performantes, plus les femmes le
déviennent elles aussi. L’ascension des uns conditionnerait celle des autres.
On notera la traduction française » le travail des hommes supplanté par celui des femmes »
Quel est l’original allemand qui a donné la traduction »supplanter »?. » die Arbeit der Männer durch die der Weiber verdrängt »
La traduction de l’allemand telle qu’on la propose dans les dictionnaires est évincer, refouler, déplacer,et supplanter. Il faut donc bien comprendre que les machines permettent aux femmes d’évincer les hommes et en cela elles en sont les alliées objectifs.
Or, le terme « verdrângen » sera utilisé en psychanalyse quelques décennies plus tard dans le sens de refoulement (en anglais repression)
« The terms « verdrängen » and « Verdrängung » in Freudian contexts, where the mechanisms are largely unconscious, have gone down in English as « to repress » and « repression. » (sur le mot Verdrängung , cf C . G. Jung Freud und die Psychoanalyse; Gesammelte Werke IV, 1969 Index p. 422, Sigmund Freud Gesammelte Werke II Werke aus den Jahren 1913-1917, ED Fischer, 1975, index p. 480, cf aussi Freud Gesammelte Werke Texte aus den Jahren 1885 bis 1938 Ibidem, sur la série Verdränge, Verdrängung, Verdrängte Wüncshe, Verdrängter Hass, p 900; Bernd Nitzchke ed. Die Psychonalyse Sigmund Freuds. Konzepte und Begriffe. 2011, Index, p. 297)
Chez Freud, le déni de l’homme est selon nous lié à la question de l’absence du pénis chez la femme (cf S. Faure-Pragier, Le désir d’enfant comme substitut du pénis manquant, une théorie stérile de la féminité, in collectif Clefs pour le féminin,, PUF, 1999) et c’est cette image d’un « plus » qui serait ainsi refoulée chez la femme ( on pense à la castration) et qui serait, de façon matricielle, à l’origine de sa tendance plus générale au déni. C’est ce déni de l’Homme qui, chez Marx, conduirait la femme à instrumenter la machine pour se substituer à l’homme en tant que mâle et en mettant en avant l’Homme comme recouvrant tant la femme que l’homme, à la façon d’Adam dans le Livre de la Genése, tel que d’aucuns entendent le lire. (cf Sarah Kofman. L’énigme de la femme. La femme dans les textes de Freud, Ed Galilée 1980, cf les travaux de Paul – Laurent Assoun qui touchent autant à la psychanlyse qu’au marxisme mais aussi au féminin : Freud et la femme, Paris , Calmann Lévy, 1983, Clés pour le féminin. Femme, mère, amante et fille, dir. J. Schaeffer et al. PUF 1999 , pp 43 et seq)
On pourrait certes épiloguer sur le choix de ce terme allemand par Marx et qui signifie que les femmes sont vouées à prendre le dessus sur les hommes dans la société prolétarienne et l’on peut se demander si cela n’était pas là une perspective particulièrement détectable et un des aspects les plus insupportables à signaler en ce qui concerne la société prolétarienne et dont la machine/machinerie serait la
principale responsable!
A noter cependant que dans l’édition de Londres de 1848, en allemand, on trouve associés aux femmes les enfants « Kinder), ce qui sera supprimé par la suite. Cela nous fait penser que la machine, sous la forme qui est la sienne de nos jours est en mesure, à terme, de positionner les enfants comme substituts aux adultes, dès lors qu’ils seront adéquatement appareillés.
A propos du rapport de Marx à la question des femmes, rappelons qu’il s’est toujours opposé au vote des femmes. (cf Francis Wheen, Karl Marx. Biographie inattendue/Paris, Calmann Levy 2003)
Pour en revenir au rôle de la machine chez Marx et chez Freud, nous signalerons que l’on pourrait parler d’une castration des hommes au sein du prolétariat par les femmes et par le biais de la « Maschinerie » et ce rapprochement nous semble d’autant plus se justifier
que toute castration implique l’usage d’un objet, donc -selon l’acception qui est la nôtre, d’une « machine », aussi rudimentaire soit-elle, à savoir d’un couteau. C’est le lieu, en effet, de rappeler que le terme « machine » est pour nous intimement associé à celui de technique et
que déjà l’écriture est une « machine » et donc le livre. Et nous comparerons de fait la machine au niveau du prolétariat et le livre à celui de la société « bourgeoise ». Le livre serait par excellence un mode de nivellement égalitaire au même titre que la machine dans le contexte plus spécifiquement industriel. Par le biais du livre -et notamment par ses manifestations électroniques) , la femme est en mesure de « supplanter » l’homme, de rendre celui-ci inutile, « dispensable ».
Ajoutons un développement assez important du Manifeste
(IIIe partie Prolétaires et Communistes) à propos de
l’ »abolition de la famille » et de la mise en place d’une
« communauté des femmes » Citons ce passage : « Non
contents d’avoir à leur disposition les femmes et les filles de
leurs prolétaires, pour ne rien dire de la prostition publique, nos
bourgeois se font le plus grand plaisir de séduire
réciproquement leurs femmes légitimes »(cf ed. GF Flammarion,
op cit. p.97).Marx semble ainsi
favorable à une certaine séparation des hommes et des femmes
qui selon lui peut d’ores et déjà être observée.
JHB
28 10 14
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