Etudes kabbalistiques sur le Sefer Yetsira et le tétramorphe.
par Jacques Halbronn
L’étude des traditions nous a appris que certaines données pouvaient avoir été déplacées et non point perdues, à la manière du sort qui peut être celui d’un livre au sein d’une bibliothèque.
Il y a une quarantaine d’années, nous avions consacré un travail à l’alphabet hébraïque tel qu’il nous apparaissait au prisme du Sefer Yetsirah (cf Clefs pour l’Astrologie; Ed Seghers, 1986 , pp . 188 et seq - traduction espagnole Las Claves de la Astrologia). Nous y montrions que la première lettre de l’alphabet hébraïque avait du être non pas le Aleph mais le Quph, soit une des 12 lettres simples, la forme grecque alpha béta étant donc relativement tardive, par voie de conséquence. Notre « alphabet » devrait donc s’appeler un « Qafabet’.
Par ailleurs, toujours à propos de l’alphabet, nous avions montré la possibiité pour l’aphabet hébraïque primitif (soit la cursive hébraïque et non la forme araméenne) d’avoir donné naissance au dessin des chiffres dits arabes, ce qui ne signifie pas pour autant que le savoir correspondant ait été hébraique. (cf nos Mathématiques Divinatoires, Ed Trédaniel-La Grande Conjonction, pp/ 153 et seq)
Notre propos, ici, concerne la question du verbe être mais nous sommes ici encore confrontés à une tradition, à un « système » qui nous semble avoir été perturbé et qu’il nous importe de tenter de restituer comme nous l’avons fait pour le français (cf notre étude parue dans la Revue Française d’Histoire du Livre livraison 2011/2012). Notre démarche englobera aussi bien l’hébreu que l’arabe, soit deux langues dites sémitiques.
On sait qu’il est de coutume de dire que le verbe être n’existe pas dans ces deux langues, au présent. Force est de constater qu’il est en pratique remplacé par le pronom personnel. Or, il nous semble qu’il existe des similitudes assez nettes entre le pronom personnel et le verbe être tant dans l’usage que dans la forme.
L’hébreu supprimé la première consonne qui est maintenue en arabe comme dans « lev » au lieu de « qalb ». Il remplace par un Aleph le Quph dans Ani (au
pluriel anahnou) si l’on rappelle que le verbe être en arabe : kana. Mais l’arabe lui-même a son pronom sans Quph (Ana) Ajoutons que le ata/atem hébreu est en fait un Anta/Antum, ce qui a été conservés en arabe ( deuxiéme personne du singulier et du pluriel)
En passant on notera l’anomalie d’une finale en a pour le Ata
masculin alors que le At (deuxiéme personne au féminin)
correspond à un marqueur masculin.
Si l’on replace le Quph à la place du Aleph, on restitue le verbe être « Kana ». pour les premières et deuxiémes personnes du singulier et du pluriel. Quant à la troisiéme personne (Hou, hi, Hem, Hen), elle est à rapprocher du verbe être au passé : »haya » , hayou etc etc. (cf aussi le tétragramme, Iud Hé Vav Hé).
On, a vu plus haut que dans le Sefer Yetsira, le Qoph et le Aleph ont permuté, ce qui vient confirmer notre thèse selon laquelle, le Ani, Ata, Anahnou, Atem de l’hébreu (première et deuxiéme personnes du singulier et du pluriel) étaient anciennement des formes comemnçant par Quph, ce qui les relie au verbe être arabe.
Rappelons brièvement notre argumentation à propos de la
permutation du Qoph et du Alef. Les lettres mères du Sefer
Yetsira sont aleph, Mem et Shin (cf chapitre III du SY) censées correspondre aux
4 Eléments (et la Terre est ici mise de côté pour qu’il n’en reste plus que trois)
. Les quatre dernières lettres de
l’alphabet hébraïque sont Qoph, Resh, Shin, Thav. Les sept
lettres doubles du SY ( chapittre IV) sont B eith, Guimel, Daleth, Kaph,
Pé et Thav plus le Resh (qui grammaticalement n’est pas double
à la différence des six autres, pour arriver au 7 en analogie
avec les 7 astres (luminaires plus cinq planétes de Mercure
à Saturne) On notera que les dix Sefiroth qui sont un élément essentiel du SY
seraient à rapprocher des 3 lettres mères et des 7 lettres doubles, d’autant qu’elles se divisent
effectivement en trois plus sept. Le 22 serait simplement l’addition de 12 à 10, ce qui vient en correspondance avec les 12 signes
du zodiaque et les 12 tribus d’Israël (cf notre ouvrage Le Monde Juif et l’Astrologie. Histoire d’un vieux couple, Milan, Ed Arché, 1985)
Mais il est clair que le système était initialement construit sur le nombre pair, ce qui excluait le 7. Le carré devait être préféré au triangle. Au lieu de 4-6 on serait ainsi passé à 3-7. Mais rappelons les six jours de la création (Yetsira) auxquels fait suite un septiéme jour.(Shabbat) et l’on sait que chaque jour de la semaine est associé à un astre. Mais cela nous laisse un 3 au lieu d’un 4, ce qui n’est pas sans faire songer à la Trinité chrétienne.
Il semble que l’on puisse rapprocher la dixième sephira Malkhouth de Kether, ce qui restitue le rapport 4/6/ puisque Kether signifie en hébreu couronne et Malkhouth, royauté. Et yesod, la neuviéme deviendrait la dernière. Or Yesod signifie la base, le fondement, en quelque sorte le tronc de l »arbre séfirotique/
Nous avions développé (cf nos Mathématiques Divinatoires, op. cit) un « tarot sefirotique » (cf aussi article in revue Autre Monde en 77.778) en isolant 10 arcanes majeurs sur les 22 (Diable, Chariot, Hermite, Roue de fortune etc) formant 5 groupes de 2 totalisant 22.
Il nous apparait que le Aleph et le Mem devraient se situer dans les 4 dernières lettres. Quant au
Resh, il est bien dans ce groupe et n’a rien à faire avec les six
lettres doubles. Le Mem ne fait pas partie des lettres
grammaticalement doubles et ne doit donc pas se situer
dans le périmétre qui leur réservé enclavé au sein de la
série des lettres simples.( chapitre V du SY, valeurs 2, 3, 4, 20, 30, 40) Il s’agit
d’une lettre simple alors que pour nous le Noun serait une
lettre mère/ pas plus que le Thav, lettre double ne saurait figurer en
dernières position, dans le groupe des 4 lettres mères
(réduit à trois pour permettre de passer de six à sept)
Le péh a été décalé et placé à tort dans le groupe des douze
lettres simples alors que c’est une lettre double.
Les 4 mères sont selon nous Aleph, Noun, Shin, Resh. Elles sont
sont à rapprocher du tétramorphe ézéchielien (Haioth)
constitué de ces mêmes lettres : Arieh (Lion) avec le Aleph
et le Resh; Shor (boeuf) avec le Shin et le Resh, Nesher (Aigle
avec le Noun, le Shin et le Resh. Reste le cas d’Adam (Aleph,
Daleth, Mem) (l’homme) qui ne correspond pas et comporte
une lettre double, le daleth, et une lettre simple, le Mem.
Toutefois, si on remplace Adam par Enoch (Aleph, Noun,Shin)
une autre désignation de l’homme, cela convient.(cf Genésee
IV, 26, Enoch fils de Seth (qui remplace Abel tué par Cain)
, donc petit fils d’Adam. cf Henri Rossier, « Enoch », bibliquest.org)/ Ce n’est qu’avec Enoch
que « l’on commença à évoquer le nom de l’Eternel » Dieu
s’adresse au « fils de l’homme » (Ben Adam, fils d’Adam) notamment dans
Ezéchiel. C’est dans Ezéchiel Ch 1 et 10 que se situe l’apparition
du tétramorphe. Mais on trouve aussi Henoch (ou Hanokh)- avec une toute autre orthographe (Heith Noun, Khaf), comme fils de Jared (Genése 5, 18) .
Par delà la signification accordée à ces 4 assemblages, ce qui renvoie à des « êtres vivants » -Hayoth)
nous devons considérer un tel ensemble en tant que structure, en tant que signifiant et oublier(-Léthé) provisoirement les signifiés qu’on leur a fait correspondre. Rappelons cependant que le tétramorphe renvoie aux 4 étoiles fixes royales qui sont les lieux de la conjonction avec la planéte Saturne (28 ans de révolution divisés en 4 fois sept) dont nous avons fait le fondement de l’astrologie originelle. Des considérations astronomiques ont mis à mal la structure en son état premier.
Ce quatuor Aleph Resh Shin Noun devra être étudié de près. On retrouve la combinatoire Aleph Noun dans le Ani/Anokhi, Moi en hébreu mais on a vu que ce pronom doit être associé au Qoph pour donner le verbe « kana » (être) attesté en arabe mais non en hébreu. On, penese aussi à Chir (Shin Resh) que l’on retrouve sous la forme du Cantique des Cantiques (Shir haShirim). Ou encore dans la forme du relatif Asher qui mobilise trois des dites quatre lettres. Mais le cas le plus remarquable est celui de Ish (Aleph, Shin)
qui apparait dès le deuxiéme chapitre de la Genése alors que dans le premier il était question d’Adam. Ish et Isha sont, selon nous, le résultat. Ish, c’est l’homme. On a donc ici trois termes pour désigner l’homme : Adam, Ish et Enosh
de’ la fin de l’androgynat d’Adam ‘(chapitre I de la Genése),
. On peut penser que la présence du Mem vient du fait que le groupe des trois lettres est celui des mères et en hébreu, cela s’écrit Aleph Mem.(Em, Ima). On notera que le Noun fait immédiatement suite au Mem dans l’alphabet hébreu comme d’ailleurs dans notre alphabet occidental. Ce mem figure d’ailleurs dans la topographie de l’alphabet hébreu- en trois colonnes (2×9 plus 4) dans l’espace réservé aux lettres doubles, ce qui est une anomalie. alors que le Péh, lettre double se situe lui à tort au sein du groupe des lettres simples, selon notre topographie. Le Thav qui se trouve en dernière position, soit la 22e lettre est en fait une lettre double (Bagadkaphat). C’est dire que l’ordre alphabétique aura été trituré!
Rappelons notre schéma tel qu’exposé dans Clefs pour l’Astrologie:
Colonnes 1 et 2 une lettre simple, trois lettres doubles, cinq lettres simples
Colonne 3: 4 lettres doubles.
On notera cependant que la Terre qui est absente du Sefer
Yetsira du fait du passage de 4 à 3 lettres mères se dit
Adama, ce qui est évidemment à rapprocher de Adam
On trouve Adam et Adama dans Genése: II, 19 et III, 17
On notera que Ish est à rapprocher d’un autre Elément, le
Feu, Esh, qui s’écrit également Aleph Shin.
. Nous en traiterons dans un prochain texte et en vidéo.
Autrement dit la disposition des trois colonnes devait à l’origine correspondre aux trois groupes de lettres dont traite le Sefer Yetsira. Mais aussi bien le SY s’en est éloigné avec un dispositif 7-12-3 au lieu de 6-12-4 et l’alphabet tel qu’il nous est parvenu a également été perturbé, à commencer par la permutation du aleph et du Qoph qui est au coeur de notre propos sur le
verbe être en hébreu, passant ainsi que Kana à (K)Ani, (K)A(n)ta etc.
(cf les recherches de Christian Gourdain www.gourdain-
christian.com, dans la revue Parapsy (de 1999 à 2015)
Les grammaires hébraïques nous disent que le pronom personnel doit figurer ente le sujet et son attribut mais cela recoupe la définition du verbe être. On note d’ailleurs que cet usage du pronom personnel (appelé « copula ») n’est indispensable qu’au présent. On rappellera que le pronom personnel en hébreu est redondant dans la mesure où la conjugaison au passé et au futur comporte un marqueur correspondant.
Dans notre étude parue dans la Revue Française du Livre, (n°132, 2011) - »Le français comme langue matricielle » – nous avons montré que l’article défini en français reprenait en fait la forme accusative: le livre, je le veux alors que dans les autres langues latines, le nominatif ne commençait pas par une consonne, ce qui se rapproche du pronom personnel à la troisiéme personne :il, elle, ils, elles.
On assiste donc à de tels déplacements tant en français qu’en hébreu qui touchent au statut du pronom personnel et de ses rapports avec les articles mais aussi avec les auxiliaires.
On conclura donc que c’est à tort que les descriptions de l’hébreu (mais aussi de l’arabe) font état d’une absence du verbe être en hébreu et en arabe. Le pronom personnel ne remplace le verbe être mais est bel et bien celui-ci et cela devrait avoir des effets sur l’enseignement de l’hébreu et éviter de présenter cette langue comme une sorte de « petit négre ». Moi Tarzan toi Jane!
Désormais il importe de considérer la série des pronoms personnels en hébreu comme la forme du présent du verbe être qui aura été déplacée.
Nous rappellerons qu’il est courant qu’une langue « supprime » les consonnes initiales de la langue mère. *Pour les langues latines, en espagnol, le p disparait devant un l et se double: pleuvoir correspond à llover, plein à »lleno » , clamer à llamar etc ; en italien, le L disparait dans piazza correspondant en français à place, clamer a en italien pour correspondant chiamare etc, plaisir a piacere etc Quant à l’anglais, on dira que l’on trouve un w pour le g du français dans war, wages, William, Walter etc et que le f de l’anglais correspond au p du français dans fear pour peur, dans for au lieu de pour ou par (avec le calque forgive pour pardonne). En français, on note le passage du L au U comme dans cheval qui donne au pluriel chevaux, dans « du » qui se substitue à « de le » (génitif) sans parler à l’oral de la non prononciation des finales non suivies de voyelles dans le mot suivant (liaison)
Nous sommes là bien évidemment dans le champ du signifiant, de la formation (morphologie) d’outils de langage par delà les significations qui peuvent être accordées ponctuellement- même si le provisoire peut se perpétuer indéfiniment.
Bibliographie
James C. Vanderkam Enoch and the growth of an apocalyptic tradition, The Catholic Biblical Quarterly Monograph Series 16 , 1984
Andrei A. Orlov The Enoch-Metatron tradition, Texts and studies in Ancient Judaism 107. Mohr Siebeck 2005
Cristiana Tretti, Enoch e la Sapienza celeste. Alle origine della mistica ebraica, Associazione italiana per lo studio del Giudaismo, Giuntina, 2007
Charles-F. Jean Grammaire hébraïque élémentaire. Ed Letouzey et Ané, 1997
Spinoza Abrégé de grammaire hébraïque. Ed Vrin 1968
Carlo Suarés Le Sepher Yestsira. Le livre de la structuration. Ed Arma Artis 2004
Virya (Georges Lahy) Le Sepher Yetsirah, Ed Lahy 1995
Sepher Yezirah. Ed Rosicruciennes 1989
Sepher Yetsirah. intr. Paul Fenton, Ed Rivages, 2002
JHB
06 02 15