Le phénoméne Café-philo: les dérives
Posté par nofim le 7 avril 2015
Notre enquête sur les Cafés philo à Paris
par Jacques Halbronn
Que se passe-t-il dans les café philo, à quoi joue-t-on?
Quel est le profil des animateurs, à quoi servent-ils?
Il nous est apparu que certaines dérives entrainaient
les café-philo dans des directions quelque peu décalées et
hybrides..
En l »espace d’une huitaine de jours, nous avons suivi quatre
rencontres de ce type, dans des cadres différents. Les
animateurs sont les suivants: Jean-François Paquelier,
Rafael Prudentio, Bruno Magret, Jean-Luc Berlet, Maxime Fellion, mais
d’autres personnages souvent co-animent et nous les
mentionnerons en temps utile.
En fait, on peut se demander si l’on peut trouver
actuellement à Paris de « vrais » café philo où il y a de
vrais débats. Notre diagnostic, c’est que les gens n’ont
plus le goût et le sens du débat et c’est pour cette raison
qu’il y a ces dérives qui visent à occulter une certaine
carence de la démarche dialectique et maieutique.
I La dérive littéraire
Un des traits les plus étranges que l’on peut observer
actuellement concerne les intitulés des sujets. On notera
d’abord qu’ils sont généralement votés une fois qu’une
demi-douzaine de propositions ont été exprimées. Mais
sur quoi va-t-on voter? Sur des phrases, des slogans, des
maximes,des formules sibyllines, hermétiques et que l’on ne prend pas la peine de préciser
avant le vote. En fait, on pourrait parler d’un processus
oraculaire.
On va donc se réunir autour de ces quelques mots souvent
articulés sous une forme interrogative. De deux choses
l’une, ou bien on éléve le débat et l’on cherche quelle
est la question philosophique sous-jacente ou bien
l’on décortique minutieusement la formule lancée et
c’est alors que l’on bascule dans la fibre littéraire, poétique,
comme le fait Maxime Fellion, partenaire de Jean-Luc Berlet.
et l’on se met à cogiter, on se demande alors pourquoi tel mot a été utilisé et
pas tel autre. On est dans l’analyse de texte qui se voudra
rigoureuse quant à son respect de l’intitulé , comme s’il
émanait de quelque grand penseur. On cogite sur une
formule sans aucune connaissance du contexte, ce qui
est contraire à l’idée de commentaire sérieux..
En réalité, nous avons affaire à des pratiques d’autodidacte
qui se sont maintenues alors que l’intéressé- est parvenu à accéder à un
savoir consistant tout en perpétuant des modes de
fonctionnement de vaches maigres. C’est le système D :
on fait de nécessité vertu et on triture inlassablement
une formule dérisoire lancée un peu par jeu comme
thème de débat à l’instar de ces danseurs qui se
trémoussent devant vous, à la demande, quand vous
leur suggérez de représenter tel état d’âme.
II La dérive psychologique
On change de stratégie avec Bruno Magret qui considére
désormais que la raison d’être de son café-philo est
de susciter des témoignages liés aux drames que vivent
les participants. On est dans le ressenti, dans le partage
des expériences, des vécus. La philosophie se met ici
au service de la psychologie, ce qui est censé la rendre
plus vivante. On n’est plus dans le débat mais dans le
témoignage. La montagne philosophique accouche d’une
souris.
III La dérive pédagogique et livresque
L’animateur introduit le sujet au prisme de l’Histoire de
la Philosophie. C’est le cas d’un Jean-Luc Berlet et d’un
Rafael Prudentio qui développent assez longuement
leur exposé en rapport avec le sujet voté ou choisi.
On peut se demander si les personnes ayant un bon
bagage en fait de lectures philosophiques – on pense
aussi à Sabine Miniconi, proche de Jean-Luc Berlet-
sont réellement doués pour le débat philosophique.
Rafael Prudentio a un art consommé pour resituer
chaque prise de parole dans le cadre des grandes
questions philosophiques .
On se demandera toutefois si les professeurs de philo
sont de bons philosophes ou s’ils ne peuvent philosopher
que par procuration, comme des musiciens qui ne font
de la musique qu’en jouant celle des autres.
IV La dérive écologico-politique
D’autres café-philo sont l’occasion pour leurs animateurs
de faire passer certains messages qui s’éloignent souvent
très nettement du théme initialement proposé. On pense
au café philo de Jean-François Paquelier, secondé
par l’écologiste Romain. On nous y parle des échéances
urgentes auxquelles nous sommes confrontés à propos
de l’avenir de la planéte.
VI La dérive ésotérico-traditionnelle
Nous avons aussi droit à des café-tao avec Jean-Luc
Berlet et à des café-destin (sic) avec Yves Massey
qui fonctionnent sur le mode du « débat » mais avec
un référentiel censé être assez bien circonscrit. (Karma,
Divination etc). Dans le même genre, nous placerons
les « leçons de philosophie » de Maxime Fellion, articulées
autour du Livre de la Genése. Dans ce cas de figure,
la philosophie prend appui sur des traditions.
VII La dérive disciplinaire et éducatrice
Enfin, nous avons des réunions qui mettent en avant
le respect de la prise de parole. On ne doit pas
interrompre celui qui parle, on doit parler à son tour,
c’est à dire sur la base d’une liste qui se constitue au
fur et à mesure en levant le doigt. Le rôle du modérateur
est de prendre bonne note de ces demandes de prises
de parole.
On doit impérativement éviter les « joutes » verbales, les
échanges un peu musclés. On ne se répond les uns aux
autres que selon un protocole plutôt pesant. A un désordre
sur le fond du débat vient faire pendant un ordre sur
le déroulé de celui-ci. Et bien entendu, celui qui enfreint
ces régles se voit rappeler à l’ordre.
On apprend à bien se tenir. Un des instigateurs ce ce
genre est un éducateur.
Dans ce cas de figure, on ne s’écoute pas les uns les
autres. Les prises de parole sont discontinues. Le seul
repére est la phrase de départ mais non ce qui se dit.
VIII La dérive psycho-divinatoire
On peut enfin s’interroger sur le protocole de nombre de ces cafés philo. Il semble
que la régle du jeu non écrite consiste à associer deux mots, de procéder par binome.
On pourrait carrément mettre des mots dans une corbeille et en tirer deux au hasard.
Une autre piste voudrait que la formule choisie par tel ou tel participant fasse l’objet
d’un traitement psychanalytique ou encore divinatoire. Pourquoi le dit participant a-t-il
choisi d’associer, de relier ces deux mots, qu’est ce que cela nous dit sur sa problématique
personnelle? Une fois le sujet choisi, tout le groupe se focaliserait sur son interprétation et
la personne concernée réagirait d’une façon ou d’une autre.
Conclusion
Pour notre part, il serait nécessaire au bout d’une heure de
café philo, de voter cette fois sur la problématique
qui mérite d’être au centre de la seconde heure et d’élire
ceux qui semblent les mieux placés pour exposer les
positions antagonistes, après que durant la première
heure- puisque le temps de deux heures est devenu
la norme- tous les participants et tous les avis ont
pu s’exprimer.
Il convient notamment d’éviter une instrumentalisation
des cafés philo par des personnes qui n’ont pas de
dispositions pour être animateurs mais qui ont des
motivations qui les conduisent vers ce type d’activité.
qui en font des moyens et non des fins.
On regrettera que ces animateurs n’aient pas une bonne
écoute de ce que joue dans ces réunions, prisonniers
qu’ils sont d’un savoir souvent obsoléte auquel ils
veulent absolument rapporter ce qui se dit alors que le café
philo est un lieu qui devrait être ouvert à de nouvelles
réflexions, inédites.
L’animateur ne doit pas être confondu avec ceux qui
s’imposent dans le débat par la qualité de leurs propos
et de leurs commentaires. Et c’est là que le bât blesse.
Comme dans la vie politique, il y a un président qui
est le garant des institutions et le chef de gouvernement
qui est l’homme de la situation, comme c’est le cas en
Allemagne ou en Italie. En France, la « cohabitation »
fait également apparaitre une telle dualité tout comme
le changement périodique de Premier Ministre ou tel
remaniement..
JHB
07 03
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