Jacques Halbronn Prophétisme et Astrologie
A l’occasion de la lecture d’un assez long texte de Sylvain Piron, directeur d’études à l’EHESS, « La parole prophétique », paru en 2014 (in collectif » Le pouvoir des mots au Moyen Age », Ed Brepols), nous revenons sur notre travail de thèse d’Etat, « Le texte prophétique en France. Formation et fortune 1999 Presses Universitaires du Septentrion, sous la direction de Jean Céard), et sur notre post doctorat consacré à la critique du corpus nostradamique (EPHE Ve section, 2007) sans parler de notre thèse « médiéviste », le « Monde Juif et l’Astrologie. Histoire d’un vieux couple, » Milan, Arché, 1985, thèse 1979 sous la direction de Georges Vajda, EPHE Ve section) , triptyque universitaire que ce chercheur ne semble pas avoir connu à l’époque de la rédaction de son étude. Pourtant en 2003, Isabelle Rousseau- Jacob nous cite à différentes reprises (notamment pour notre contribution en 1997 aux Journées Verddun Saulnier » Les prophéties et la ligue », dans « L’ESCHATOLOGIE ROYALE DE TRADITION JOACHIMITE DANS LA COURONNE D’ARAGON (XIIIe-XVe SIÈCLE ») Étude et édition de textes prophétiques (Open Edition Books) En 2000 était parue notre étude « Le texte prophétique. Discours de la méthode » sur Babel, Revue de littérature française générale et comparée / n°4, pas davantage signalée par M. Piron. (dont les notes en bas de page sont pourtant copieuses, pouvant donner l’impression d’une certaine exhaustivité) alors qu’indiquée en premier sur Google, à partir du mot « prophétique ».. Nous montrerons aussi l’interaction entre Astrologie et prophétisme, au prisme de nos dernières productions épistémologiques, en précisant que l’Astrologie ( à laquelle Pirib fait référénce en citant notamment J. P. Boudet (p. 257) est un domaine de recherche qui va bien au delà des pratiques actuelles en vigueur, l’interdisciplinarité exigeant d’être au fait des derniers développements dans chaque discipline. Rappelons que nous avons produit nombre de travaux en Histoire de l’Astrologie parallélement à notre exploration du prophétisme (« La pensée astrologique » en préambule à l’Etrange Histoire de l’Astrologie (avec Serge Hutin). Ed Artefact, 1986). En tout état de cause, ignorer ce qui a été produit auparavant et notamment récemment , c’est prendre le risque d’une accusation de plagiat, d’indélicatesse et en tout cas de négligence. Nous aborderons donc le texte de Piron « La parole prophétique »(pp. 235-286) dans cette perspective critique. en notant d »entrée de jeu l’usage du singulier « la parole prophétique » – ce qui fait écho de facto à notre propre singulier « le texte prophétique » dont Piron s’efforce de se justifier dès les premières lignes. Citons des passages du texte introductif de Sylvain Piron:
I « La profération d’un oracle est assurément un acte de langage qui sort de l’ordinaire (…)Pour s’en tenir à l’élément le plus simple, elle crée une attente. Au sens strict, ce n’est pas la parole énoncée mais l’attente qu’elle provoque qui peut être qualifiée d’efficace. Qu’elle soit de l’ordre de l’espoir ou de la crainte, cette attente, c’est à dire la tension créée entre une situation présente et un état futur attendu est susceptible de provoquer une modification parfois radicale des comportements «
II »Le prophétisme se trouve en concurrence avec les multiples techniques de divination en usage au Moyen Age central. A partir du milieu du XIVe siècle, les croisements entre prophéties et astrologie se font plus fréquents. Il faut pourtant bien distinguer les ressorts de ces deux disciplines. Le prophétisme qui ne porte que sur des événements contingents et non des régularités, ne peut avoir par définition aucune prétention scientifique (..) La suspicion dans laquelle sont parfois tenus les écrits prophétiques tient précisément au caractère individuel de l’inspiration divine dont ils se réclament, qui pose également la question de leur articulation au canon des écrits bibliques, authentifiés par l’institution ecclésiale. Mais cette suspicion n’est souvent que l’envers d’une fascination pour des documents dont la véridicité ne pourra être éprouvée, par définition, que par le cours des événements à venir et qui conservent entretemps une puissance de vérité inéliminable ».
Quelques observations, donc: on ne saurait, en aucune façon, réduire le prophétisme médiéval à des références bibliques comme l’affirme ici Sylvain Piron., il faut parler d’un néo-prophétisme dont Piron n’a apparemment pas pris toute la mesure et cela vaut, entre autres, pour un Pierre d’Ailly. nourri d’astrologie- comme le note d’ailleurs notre auteur – et cela déborde largement sur les siècles suivants avec un Nostradamus.(cf notammen notre étude parue en 2013 dans la. Revue Française d’Histoire du Livre. 2013, Nº. 134 – .. « De la Pronosticatio de Lichtenberger au Mirabilis Liber parisien « ·.Pas non plus de nécessité de quelque inspiration divine. (cf le Colloque postérieur,)
En revanche on ne peut qu’apprécier l’usage par l’auteur du mot « attente » , dont il n’exploite malheureusement pas toute la problématique mais il n’est certainement pas le seul dans ce cas. Que dire en effet du rapport Prophétie/Astrologie abordé au début du texte de notre auteur lequel nous invite à effectuer des distinctions, l’astrologie étant, selon Sylvain Piron, susceptible de revendiquer un substrat « scientifique » à la différence du prophétisme. Quelle est donc la complémentarité entre Astrologie et prophétisme? Il ne semble pas que notre auteur réponde explicitement à un tel questionnement pourtant essentiel qu’il ne fait qu’évoquer. Pour approfondir cette dialectique, nous dirons que la « parole prophétique » est l’expression, en effet, d’une attente laquelle est vouée à être reportée, parfois sur des siècles sinon davantage, par toutes sortes de procédés et d’exégéses. Le terme ‘accomplissement » mise en avant dans les Evangiles répond à la dite attente (espoir, crainte). Mais est il vraiment si simple de distinguer les deux termes souvent allégrement amalgamés? Car quid de celui qui annonce que le temps est venu de l’accomplissement de la prophétie, n’est il pas voué à être également qualifié de prophéte? Or, suivant en ce sens Piron, l’origine d’une prophétie peut être tout fait à rechercher bien en amont de toute déclaration sur son avénement.
En tout état de cause, l’annonce de l’accomplissement renvoie à un futur, même s’il est annoncé comme proche et peut d’ailleurs être recyclé indéfiniment pour de nouvelles échéances, avec la notion de « Retour » dans le cas de Jésus, par exemple.(parousie)..Il semble que l’astrologie ait précisément vocation à préciser la fin de l’attente avec les moyens qui sont les siens. C’est ce qui distingue le « prometteur » et le « significateur ». Le prometteur est un astre en mouvement tandis que le significateur est dans l’attente. Le prometteur annonce, avec quelque forme de certitude « scientifique » un changement, un tournant et le significateur est censé en fournir le contenu. (cf notre brochure satirique « L’astrologue et son client. Les ficelles du métier », 1995) .
Il convient en effet, de préciser la distribution des rôles impartis à la prophétie en tant que marqueur d’attente et l’astrologie en tant que passage au stade de l’accomplissement. En ce sens, le prophétique ne reléverait aucunement des astres ni l’astrologie du prophétique. Il y aurait une nette division/séparation des tâches si ce n’est, comme on l’a dit, que l’échec de l’astrologie -du à son dysfonctionnement – viendrait alimenter le prophétique, comme nous l’avons démontré tout au long de notre ‘Texte prophétique en France ».
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JHB 27 08 22