Le remariage de l’astrologie et de l’astronomie en 1845, en
France.
par Jacques Halbronn
L’Histoire de l’Astrologie dans ses rapports avec
l’Astronomie est celle d’un couple qui tantôt se sépare,
tantôt opére un rapprochement. On dira que 1845 sonne
des noces entre nos deux disciplines comme en d’autres
temps, il y eut divorce.
En 1993, nous avons publié sous le titre L’Astrologie du Livre de Toth d’Etteilla (Ed Trédaniel) -
Il s’agissait d’un traité paru en 1785 et qui montrait que l’astrologie continuait à
exister sous une forme « savante » à la veille de la Révolution Française. Nous avions également
signalé en 1992 dans La Vie Astrologique il y a cent ans (Ibidem, pp. 48-49) certains aspects
de la production astrologique du XIXe siècle. Par ailleurs, dans notre thèse d’Etat
« Le texte prophétique en France. Ed du Septentrion, 1999″, nous avions consacré un
chapitre à la Monarchie de Juillet.(Ch. XX, pp. 803 et seq)
Cependant, nous n’avions pas suffisamment signalé l’importance de la publication au début
des années 1840 d’une sorte d’encyclopédie qui se situait dans la filiation avec l’oeuvre
d’Etteilla, cinquante ans plus tôt sous le titre de Grand Jeu de société, en rapport avec
le personnage de Mademoiselle Lenormand, née à Alençon en 1772 et morte en 1843,
l’année de la parution d’un tel ensemble, ce qui n’est probablement pas un hasard. D’où
le sous-titre « Pratiques secrétes de Mlle Le Normand ». Mais ce Grand Jeu est
associé au nom de Mme la Comtesse de *** . ¨Pour notre part, cet usage de personnages
féminins est assez typique mais souvent un homme se cache derrière de tels pseudonymes
Le premier biographe de Mademoiselle Lenormand
Francis Girault est l’auteur en 1843 d’une biographie de Mlle Le Normand qui
« Mlle Le Normand : sa biographie, ses prédictions extraordinaires, son commerce avec les personnages
les plus illustres d’Europe, de la République,… ; La chiromancie et la
cartomancie expliquées par la Pythonisse du XIXe siècle / Paris : Breteau et Pichery, 1843
On voit donc que dès 1843, Girault est lié à la maison Breteau. Le prospectus de 1845
annoncera la parution prochaine de la quatriéme édition de la Biographie par Girault
avec l’Oneiromancie Universelle de la Comtesse de ***. On connait « La grande Explication des songes, ou l’onéiromancie illustrée : Paris : chez les principaux libraires, (1852,) qui pourrait
correspondre.
Girault s’était précédemment- en 1839 – illustré en tant qu’interpréte des Centuries. (sa spécialité, cf R. Benazra Répertoire Chronologique Nostradamique Paris Trédaniel 1990, pp. 382 -383, ed. 1839 chez Hivert -Gaume Frères et Dentu Benazra ne mentionne pas, en revanche, les références à Nostradamus dans
la biographie de Girault sur Mlle Le Normand (numérisé sur Hachettebnf.fr): ) par un feuilleton paru dans la Gazette de France (1839).
Son introduction à la Biographie comporte une Introduction dans un style assez
proche du Grand Jeu et surtout il se référe à Etteilla et à son héritage. Or, le Grand
Jeu de Société reprend les domaines qu’avait rassemble Etteilla, lui-même auteur
d’un « Tarot ».
Quelques passages de son Introduction philosophique sur les Sciences occultes mises en regard des sciences naturelles (
Sur l’Astrologie Judiciaire « cette haute science qui a fait de
Nostradamus un incontestable prophéte ». Il poursuit « La chiromancie ou la divination par l’étude
des lignes de la main est une autre sorte de science dont l’origine se perd dans l’antiquité la plus reculée »
Girault poursuit sur la cartomancie ; « L’invention des tarots ou du livre de Toth remonte, d’après
Eteilla aux Egyptiens primitifs. (..) En 1780, après de laborieuses recherches, Eteilla les rappela à leur
première destination et en dévoila les secrers à la manière égyptienne. De nos jours, M. Scluqbole a été un des vulgarisateurs de la science d’Eteilla et ce que ce disciple de la philosphie hermétique a fait par le livre, Mlle le Normand l’a fait d’une façon bien autrement surprenante par une pratique de près de trois quarts de siècle »
Le succés de 1845
On en connait deux éditions, l’une parue (vers 1840 selon la BNF) chez J. Gaudais (BNF 8°B 2493) sous le titre Grand Jeu de Société et Pratiques secrétes et l’autre chez ‘l’éditeur » (Breteau), où la conjonction a disparu Grand Jeu de Société. Pratiques Secrétes et dont a conservé le propsectus de souscription
« Le succés éclatant qu’a obtenu la première édition du Grand Jeu de Sociétés Dans toutes les parties du monde nous engage à ouvrir une nouvelle souscription pour que ce superbe et curieux ouvrage soit d’une acquisition facile pour tous ceux qui désirente le posséder ».
Le deuxiéme volume concerne « L’Astrologie ancienne et moderne, basée sur l’astronomie la plus
Avancée et la plus profonde (..) contient amplement tout ce qu’il faut savoir pour dresser un thème de naissance », ce qui montre que le public français était censé savoir ce qu’était un « thème
de naissance ».
On lit dans le dit prospectus : « On donne rue Vivienne 46 des leçons d’astrologie
et on se charge de faire des thèmes de naissance
Lisons ce qu’écrivait en 1971 Jacques Sadoul (L’Enigme du zodiaque) :
(Ed E. P. Denoël, p 84)
‘L’ouvrage de Christian (L’Homme Rouge des Tuileries) fut pratiquement la seule manifestation de l’astrologie en France avant la renaissanxe de la fin de siècle, excepté toutefois quelques petits
Almanachs astrologiques (..) Dans notre pays la véritable renaissance astrologique peut être datée de façon précise (sic) puisque sa première manifestation fut l’article Les Signes du Zodiaque de l’occultiste F. Ch. Barlet qui parut dans le n°4 de la revue des Hautes Etudes (dir René Caillé) en 1886 » Il s’agit là d’une
présentation tout à fait fantaisiste. L’article en question est paru non pas dans le n°4 mais
dans le n°3 (novembre 1886) et n’est qu’une traduction par le dit Barlet (anagramme
d’Albert Faucheux) d’un article pris dans un périodique anglais Occult Magazine (pp. 76-81))
Ce texte ne constitue en aucune façon un « retour » de l’astrologie puisqu’il ne concerne
que le symbolisme zodiacal et aucune indication sur l’érection du thème astral.
Le contenu du volume sur l’Astrologie.
Notons que le premier volume du Grand Jeu de Société
comporte le jeu de cartes, que le volume III est
consacré à la Chiromancie (ancienne et moderne), le volume IV au Jeu de la Fortune et le Ve aux Oracles.
Le volume II sur l’Astrologie se présente ainsi en son titre:
Astrologie ancienne et moderne contenant toutes les tables nécessaires
pour dresser toutes sortes de thèmes en quel (sic) lieu et pour quel âge que ce soit »
L’auteur est parfaitement au fait de l’astrologie. Il s’intéresse notamment aux
aspects et notamment chez Kepler.
« Aux cinq aspects des anciens, les modernes en ont ajouté beaucoup d’autres comme le décile -…le tridécile, .. Le biquintille….. Kepler en ajoute d’autres qu’il dit avoir reconnus efficaces par des
Observations astronomiques tels que le demi-sextile (….) et le quinconcee (…) Enfin nous sommes redevables aux médecins astroogues d’un aspect octile (ou 45°) (…) Quelques médecins y ont encore ajouté l’aspect quintile (-…) et l’aspect biquintile »
Plus loin, il ouvre des perspectives de recherche sur ce point :
« La théorie des aspects est un des principaux fondements de l’astrologie ; tous les savants
qui se sont occupés de cette science en ont fait un objet spécial de cette science et néanmoins il faut bien l’avouer, il régne encotre beaucoup de vague et d’incertitude sur la classification des aspects , leur nombre, (…) Est-il croyable , nous dira-t-on que lla science soit demeurée si imparfaite (…) A cela nous répondrons que si les théoroes de l’astrologie ont laissé jusqu’ici beaucoup à désirer, cela provient de ce que les hommes d’un vrai mérite qui s’en sont occupés sont morts, il y a au moins deux siècles (…) On a pu voir -… que les anciens ne comptaient que cinq aspects auquels les moderne sen ont ajouté neuf de plus. Nous irons plus loin et nous en compterons 360 c’est à dire autant qu’il y a de degrés » (p. 160)
L’auteur esquisse une genése du savoir astrologique:
« Les astrologues (..) ont découvert, à force d’observations
dans les sphères célestes (…)« c’est-à-dire en s’appuyant sur des faits constatés par l’expérience et des observations repétées dont la série remonte aux premiers âges du monde que
les astrologues sont parvenus à organiser ce vaste corps de doctrines » On y trouve
la traduction française d’un plaidoyer de Tycho Brahé en faveur de l’astrologie (p. 16)
A l’évidence, l’auteur, probablement latiniste, a du fréquenter les bibliothèques et
y lire des ouvrages d’astrologie. Il cite ainsi plusieurs auteurs comme Ptolémée,
Albumasar et Zael dont les oeuvres avaient été imprimées autour de 1500 (cf
.F. J. Carmody, Arabic Astronomical and Astrological Sciences in Latin Translation. A Critical Bibliography, Berkeley-Los Angeles, 1956,). On trouve aussi mention de la Mathesis
de Firmicus Maternus.
Le traité de 1845 comprend un thème d’exemple. (pp 197 et seq) pour une naissance
à 9h14, à la latitude 48°:
« Ainsi, en dressant le thème qui est l’objet de cette dissertation on a trouvé
qu’au 15 janvier 1824 la Lune était dans le 12° des Gémeaux, et Jupiter dans le 7e,
Mars dans le 3e du Lion et Vénus dans le 19°, Saturne dans le 22° du taureau
Mercure dans le 28° du Bélier, le Soleil dans le 24° du Sagittaire »
Le résultat obtenu n’est en vérité guère concluant et bien des erreurs semblent
s’être glissées. La seule position juste serait celle du Soleil, à condition de recourir
à un repére sidéral et non tropical.
On trouve dans ce volume un
Vocabulaire de quelques termes employés dans cet ouvrage » (pp 29 et seq)
Le « thème » est ainsi défini : » Figure à l’aide de laquelle on tire l’horoscope d’une personne en représentant l’état du ciel par rapport à un certain point ou par rapport au moment dont il est question, en marquant le lieu où sont en ce moment là les étoiles et les planétes »/ L’auteur ne se
limite pas au thème natal mais envisage le thème horaire, tout aussi bien.
On notera l’entrée « rétrograde » qui montre bien que l’on est passé dans une
astrologie articulée sur l’astronomie.:
Rétrograde : (mouvement) p. 52 ‘Il se présente dans époques où elles (les planétes)
semblent aller en sens contraire »
Signes : Nom qu’on donne aux constellations qui sont comprises dans le zodiaque. Ainsi on dir le signe du Bélier, le signe du Taureau pour désigner les constellations qui dans le Zodiaque
portent ces noms »
On est vraiment en face d’un enseignement concernant des calculs
astronomiques. A propos des « Tables d’Ephémérides de 1811 à 1830″
« « Pour connaitre dans quel degré du zodiaque se trouve une planète , un jour donné d’un mois quelconque, on consultera le planisphère et pour plus d’exactitude la table des Concordances où l’on verra tout de suite à quel signe et à quel degré de ce signe répond le jour indiqué ! si l’on demande par exemple dans quel signe était Vénus le 19 février 1822, je vois par la table des Concordances que ce jour répondait au 20e degré du signe du Verseau. . Comme les tables ne donnent pas les levers et couchers du soleil et des positions des planètes pour tous les jours de l’année, il faudra y suppléer par des intercalations. »
(pp 308 et seq)
Le regain astronomique
On notera que le texte ne fait aucun cas de la planéte baptisée Uranus, découverte
en 1781. Par ailleurs, on est à la veille de la découverte d’une nouvelle planéte, qui
prendra le nom de Neptune (1846) par Urbain Le Verrier et par ailleurs par Couch Adams.
Il faudra attendre 1897 et le Manuel d’astrologie sphérique et judiciaire (Ed Vigot)
de Fomalhaut (alias Nicoullaud) pour que l’astrologie française se référe aux récentes découvertes astronomiques. (Uranus, Neptune, Vulcain et mention de la planéte en attente, Pluton
Nous pensons , pour notre part, que l’astrologie renoue avec l’astronomie alors même
que l’astronomie connait un regain d’intérêt avec notamment à partir des années 1860
les publications de Camille Flammarion. Selon nous, en effet, c’est bien plutôt
l’astrologie qui s’éloigne ou se rapproche de l’astronomie que l’inverse. Le XVIIe
siècle,à la suite des observations de Galilée avait fait entrer l’astronomie dans une
zone de remous qui l’avait discrédité peu ou prou auprès des astrologues qui avaient
l’impression que leur discipline s’en trouvait fragilisée, d’où la recherche d’alternatives,
ce qui conduira à l’oeuvre d’Etteilla. A contrario, il nous semble que tout au long
du XIXe siècle, l’astronomie va séduire davantage les astrologues avec les résultats
que l’on sait. L’astrologie va tenter de rompre avec l’occultisme et de changer ainsi
son image en attirant un nouveau public, ce que facilité l’essor de l’instruction
publique et donc une plus grande aptitude à se servir des outils de travail
nécessaires au dressage d’un thème.
Un autre facteur qui a probablement joué en faveur de l’astronomie et donc à terme
de retrouvailles avec l’astrologie, c’est l’affaire du Zodiaque de Dendérah qui
sera conservé au Musée du Louvre, qui montra
que l’astronomie peut servir non pas seulement à explorer le futur mais aussi le passé.
(cf de l’abbé Halma « Astrologie Judiciaire et divinatoire égyptienne du planisphère
zodiacal de Denderah déposé au Louvre, Paris, 1824 (BNF 8° 03a 1378). Bien connaitre
les régles de l’astrologie s’avère utile aux historiens. Halma s’en explique :
« L’horoscope qui suit, à parler le langage astrologique des Egyptiens offre aux
yeux selon la doctrine des livres hermétiques
les douze maisons (signes) du soleil, les sextils, les quadrats, et deux trigones,
l’un desquels à son sommet aboutissant au signe des gémeaux au dessus de l’embleme
égyptien du Soleil, ce qui convient parfaitement à la description de ce trigone contenue
dans le livre quadripartie (Tétrabible de Ptolémée) de l’art de juger les astres et au
solstice d’Eté précédé d’une éclipse de soleil en juin 364 de l’ère chrétienne » (p. XXII)
La fortune du Grand Jeu
En 1865 reparait le seul premier volume du Grand Jeu de société, explication et application des cartes astro-mytho-hermétiques, par Mme la comtesse *** . Le catalogue de la BNF propose
que la Comtesse serait Madame Breteau.
Cependant, il y est rappelé que l’ensemble de la collection des 5 volumes est toujours
disponible, ce qui permet donc au Volume 2 sur l’Astrologie de couvrir une période de
plusieurs décennies : en ce qui concerne l’édition de 1865, ce n’est, nous dit-on, qu’un
abrégé ne comportant plus l’exposé des « pratiques secrétes » et d’ailleurs le nom de
Mademoiselle Lenormand ne figure plus au titre. Les personnes intéressées « pourront
se procurer le traité complet (voier le catalogue à la fin). Notre volume y est ainsi
présenté : ‘orné d’une gravure et de figures dans le texte accompagné d’une carte
urano-géographique ».
En 1930 (rééd 1936) les ed. B. P. Grimaud bien connues pour le Tarot de Marseille publient
le Grand Jeu de Société et Pratiques secrétes, donc avec l’intitulé de la première
édition (avec mention de 1845. Il s’agit de la partie intitulée ‘Explication et application
des cartes astro-mytho-hermétiques etc »‘ L’éditeur utilise deux intitulés: d’une part
celui de Grand Jeu de Sociétés et Pratiques Secrétes de Mlle Le Normand mais aussi
celui de Grand Jeu de Mademoiselle Le Normand. Or, sous le titre de Grand Jeu de
Sociétés, c’est toute une « encyclopédie » qui est englobée et on omet d’indiquer que
l’auteur signalé est une certaine Comtesse de *** ni que Mlle Le Normand est décédée
en 1843.
En 1969, on dispose d’une édition anglaise sous le nom de Secret Practices,the
tremendous game by Mademoiselle Le Normand, réalisée par B. P. Grimaud( BNF
EL 8° Z 483)
En 1983, Colette Silvestre (avec Linda Maar) publie, sous forme photocopiée,
le « Grand Jeu de Mlle Lenormand. Symbomisme et interprétation pratique » (2 vol)
avec une bréve biographie de Marie-Anne Adélaïde Lenormand. « Elle
laisse de nombreux ouvrages, relatant ses souvenirs de Sybille, ses oracles, ses
mémoires et ses secrets »
En 1988, les Ed/ Traditionnelles rééditent le volume du Grand Jeu consacré
à l’Explication et application des cartes astro-mytho-hermétiques/ Dans une note
de l’éditeur on lit: « Cest ce livre en fac-similé de 1845 produite par l’imprimerie
de Prévot et Drouart à St Denis pour un éditeur parisien (non identifié!) sis au 46, rue
Vivienne que nous présentons aujourd’hui (…) Ce livre d’explications étant depuis
fort longtemps introuvable sous sa forme originale etc’ L’éditeur ne signale pas en
cette occasion le volume consacré à l’astrologie et appartenant à l’ensemble ayant
pour nom Grand Jeu de Société. Le volume qui parait en 1988 en est la « première partie »
comme indiqué au titre. Il s’agit de la seconde édition à la différence de l’édition
utilisée par Grimaud et qui ne diffère que par le « et » du titre.(cf supra).
Comme il arrive souvent, certaines informations sont connues dans un certain
milieu et pas dans un autre. On observe que le Grand Jeu de Société fut repris au
XXe siècle mais uniquement en son premier volume et que les spécialistes de
l’astrologie ignoraient l’existence du deuxiéme volume consacré tout entier à ce
domaine. Quatre ans après la parution de 1988, nous comblâmes cette lacune sans
pour autant procéder à sa réédition, ce qui aurait probablement évité de perpétuer
de fausses représentations quant à la ‘renaissance » de l’Astrologie « scientifique »
en France à la fin du XIXe siècle.
En 1998, Dicta Dimitriadis publia Mademoiselle Lenormand. Voyante de Louis XVI
à Louis-Philippe (Ed L’Harmattan). On y cite Francis Girault pour sa biographie.
Signalons l’article Lenormand (Marie-Anne) dans le Dictionnaire des Sciences
Occultes (1846), un des volumes de l’Encyclopédie théologique de l’Abbé Migne: elle
mourut le 25 juin 1843 et sa biographie – confiée à Francis Girault- parut peu après
chez Breteau et un associé. Deux ans plus tard, le nom de Lenormand était
célébré en raison de ce Grand Jeu de Société qui ne lui doit certainement pas grand
chose, ce qui rapproche son cas de celui des Centuries de Nostradamus.
La bibliographie de 1998 qualifie probablement à juste titre
d’apocryphe le Grand Jeu et Pratiques Secrétes de 1845 (p. 251)
Bien entendu, nous n’entendons pas ici recenser toutes les éditions des jeux mais
seulement les références au titre de la série de 1845.
Les années 1840 ou le retour de l’astrologie dans le giron de l’astronomie
Les années 40 auront donc permis de faciliter l’accés aux outils astronomiques chez
ceux qui s’intéressaient à l’astrologie/ En cela, le Grand Jeu rompt avec la démarche
d’Etteilla qui avait renoncé à l’évidence à l’éventualité d’un tel accès. Le paradoxe
veut que l’astrologie renouait ainsi avec l’astronomie – au sein d’un ensemble
singulièrement plus vaste et c’est probablement pour cette raison que le dit
volume ne fut pas recensé par les chercheurs et les historiens du XXe siècle. Le cas
d’Eustache Le Noble est assez comparable, son traité d’astrologie, l’Uranie ou les
Tableaux des Philosophe (1697) ne comportant pas le mot Astrologie et par la suite
ne paraissant qu’au sein des oeuvres complétes de l’auteur.
Cela dit, l’astrologie exposée par l’auteur du dit volume – dont on ignore
précisément l’identité et qui était certainement doté d’une assez solide
formation scientifique – on peut même dire qu’il devait être coutumier d’une
certaine pratique astronomique, met en oeuvre une astrologie « sidéraliste »
comme en témoigne le thème d’exemple qu’il fournit avec un soleil en sagittaire
pour une naissance en janvier 1823. Un autre cas datant de 1892 que nous avions
signalé est celui d’Henri Lizeray, auteur prolixe (cf La vie astrologique il y a cent ans, p. 79) avec
son Horoscope des Poètes (BNF 9 R pièce 5288) et qui accorde une grande importance aux étoiles fixes dans
son montage de thèmes.. On signalera entre autres de Lizeray en 1879 « Les ères de la civilisation »
(Paris, J. Baur, BNF 8 G pièce 123)
Lisons ce que Lizeray écrit de l’astrologie quelques années avant Fomalhaut:
« *L’astrologie a été condamnée par tous ceux qui ne lui ont pas consacré les deux ou
trois ans d’étude nécessaires pour la connaître (..) Science admirable (…) par la
précision de ses indications (..) Cet essai est spécialemebr consacré aux naissances
poétiques. Nous déterminerons les applications du sujet d’après la constellation fr
Pégase en regard des principaux lieux de l’horoscope. Cette constellation est
comprise entre le 323e et le 2e degré (donc de fin verseau à début bélier). (Quant aux)
qualités que donnent les étoiles (…) celle-ci ne peuvent les communiquer sur la terre qu’à
l’aide des planétes placées en aspect »
Si l’on vérifie le mode de calcul de tous les thèmes – à des fins statistiques - ainsi réunis par Lizeray, en 1892,
on note que cela correspond aux coordonnées « tropicales » et non « sidérales ».
en ce qui concerne les planétes.(cf Gabriel. Les Grandes Ephémérides, Ed trédaniel 1990)
Les thème sont mieux calculés que celui qui servit d’exemple en 1845 (cf supra) mais
l’important était de familiariser le public avec l’usage des tables astronimiques et non
plus cabalistiques.
Le nostradamisme et le prophétisme sous la Monarchie de Juillet
Girault en 1839 avait- on l’a dit, fait paraitre Le passé, le présent et l’avenir ou
prédictions, vérifications et explications de quelques prophéties remarquables de
Michel Nostradamus . Bareste, en 1840, produit une biographie de Nostradamus
fort érudit. La vogue de Nostradamus devait profiter à l’astrologie
La prophétie d’Orval est un des fleurons du prophétisme moderne et elle est à l’évidence
un faux dont la publication est habilement orchestrée et remonte au temps de la
Révolution. Elle est comparée à celle d’Olivarius. On y emploie un langage
prédictif à base de « ‘lunes » qui conduit à un évenement majeur censé se
produire autour de 1840, et qui semble avoir préparé l’arrivée d’Henri V
(le comte de Chambord dont le père avait été assassiné en 1820), le prétendant légitimiste, contestant le pouvoir de Louis Philippe d’Orléans. Le dit retour échouera comme on le sait. On est
là bien loin d’une astrologie articulée sur l’astronomie planétaire comme cela avait été
le cas au début du XVe siècle pour un Pierre d’Ailly, mettant en avant la date de
1789. Précisément, le cardinal astrologue allait servir la cause de l’astrologie
par le biais de la Révolution de 1789 et il serait récupéré dans ce sens par
divers recueils de prophéties qui fleurissent tout au long du XIXe siècle et qui
eux entretiennent une certaine légende de l’Astrologie..
Les renaissances de l’Astrologie
L’astrologie aura connu plus d’une renaissance souvent sans lendemain. Mais on évitera
les appréciations se réduisant à la parution d’ouvrages dans le domaine de
l’astrologie. Il nous semble, notamment, qu’un éditeur ne va pas publier un livre
s’il n’y a pas un public plus ou moins averti. Tout indique à la lecture du corpus
de 1845, que les gens savent à Paris ce qu’est un thème de naissance calculé
selon les régles de l’astronomie, comme le montre le « prospectus » de souscription qui
signale la tenue de cours d’astrologie ainsi que la délivrance de thèmes. Il y a certes
une tradition d’astrologie « cabalistique » qui se poursuit sous le Second Empire, avec
Paul Christian. Le Mystère de l’Horoscope d’Ely Star (chez Dentu) en 1888, encore
très proche de l’homme rouge des tuileries, dont il est probablement en partie une resucée
cotoiera au cours des années 1890 plusieurs traités qui renouent avec le référentiel
astronomique (Fomalhaut, Haatan, Selva, Choisnard etc, cf sur ce point J. Sadoul,
L’Enigme du Zodiaque, op. cit). Mais cette cohabitation aura certainement débuté
un demi-siècle plus tôt au cours des années 1830. On ne peut imaginer en 1845, deux
éditions du Grand Jeu de Société coup sur coup, la seconde étant moins couteuse à
l’achat, nous dit-on dans un contexte où seule une astrologie matinée de tarot
aurait eu droit de cité Mais rappelons qu’en 1865, le traité de 1845 est toujours au
catalogue de la librairie Breteau, qui n’a cessé de se situer dans le quartier de l’Opéra.
. Cela peut sembler paradoxal puisque précisément le
volume ‘Astrologie ancienne et moderne » figure au sein d’un enseignement de
chiromancie et de cartomancie. Mais nous pensons que l’idée était justement de
souligner ce qui différenciait ces domaines bien plus que de perpétuer une sorte
de syncrétisme voulu par Etteilla (alias Alliette), soixante ans plus tôt. Soulignons
d’ailleurs, que pour l’historien de l’astrologie, ces différentes façons d’appliquer
l’astrologie permettent à celle-ci de couvrir un public très large, tant proche
des traditions encore vivantes que de la modernité en marche.
Ajoutons que l’influence française sur l’Angleterre aura été considérable à partir de la
fin du XVIIIe siècle notamment en ce qui concerne le Tarot. (cf Helen Farley, A Cultural
History of Tarot From Entertainment to Esotericism. Ed. I. B. Tauris 2009, pp. 121 et seq). notamment par le biais d’Eliphas
Lévi. On relévera l’usage de l’expression « Grand Jeu de Société » pour désigner la somme de 1845 qui marque une certaine ambiguité
de statut de ces divers savoirs; entre distraction et édification/
Il serait donc temps de réviser certaines représentations de la situation de l’Astrologie en France au XIXe siècle telles qu’on les trouve notamment dans les divers ouvrages d’Histoire de l’Astrologie que l’on trouve notamment en anglais (cf Peter Whitfield, Astrology.
A History, The British Library, 2001, p/ 197)
Le cas de Charles Fourier
A sa mort (1837), on publia les oeuvres complétes de Fourier ( Paris : bureaux de « la Phalange »,
1841-1845, 6 vol. in-8°); certains développements y attestent notamment de l’intérêt porté par le public
concernant les 4 tempéraments. Fourier utilise le terme « horoscope » pour qualifier
l’entreprise qu’il estime nécessaire de détecter le plus tôt possible les facultés de chacun
et notamment des plus doués. Il cherche à en perfectionner le système, en l’affinant
par l’étude des « manies », ce qui, selon lui, permettrait, de constituer des catégories
comportant moins de membres. (cf Des horoscopes méthodiques ou du calcul des
échos de manies, in Théorie des quatre mouvements et des destinées générales. Le nouveau
monde amoureux. cf l’index « horoscopes » de l’édition établie par Simone Debout-
Oleskiewicza, , Paris J. J. Pauvert, 1967/ notons que Pauvert publia en cette même
année, les Astres et l’Histoire d’André Barbault))
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JHB
19. 11. 14