Pour une anthropologie du son et de la parole.
par Jacques Halbronn
Nos travaux sur la sensorialité nous ont conduit à imaginer des
sociétés fonctionnant différemment et investissant autrement
l’ouie et la vue. Nous avons relié ces questions à la distinction
entre hommes et femmes avec l’idée d’habitats différents
antérieurement à une forme de symbiose qui a du se
produire historiquement.
Nous continuons à penser qu’il importe de dissocier
nettement langage écrit, inscrit, gravé et langage oral. L’un
passant par la vue et l’autre par l’ouie. Cela nous a conduit
à réfléchir sur le statut de la musique. D’où notre intérêt
pour le rapport de la musique au ballet, à la danse d’une
part au chant et à l’opéra de l’autre. ( cf Caroline Champion.
Hors d’Oeuvre . Essai sur les Relations entre Arts et cuisine
Ed Menu Fretin 2010, pp. 91 et seq).
Pour nous la musique n’est pas un langage si ce n’est par
un certain abus des termes et nous pensons que celui
qui joue d’un instrument, improvise n’active pas son
cerveau de la même façon que celui qui s’exprime
oralement en français ou en toute autre langue. D’où une
complémentarité, une dialectique entre musique et chants.
La musique produit du signifiant qui est de l’ordre de l’écrit
et non du signifié qui passe par des conventions orales
et on ne saurait confondre ces deux plans. Mais le
signifiant musical n’est pas de l’ordre du langage mais du
geste, du signe Donc quand nous disons musique, nous
englobons la dimension chorégraphique avant même tout
rendu sonore qui ne serait en fait qu’un épiphénoméne en
quelque sorte subsidiaire, « dispensable ».(comme on dit en
anglais), dont il serait loisible de se passer.
Le son qui est émis dans une musique non verbale n’est pas
vécu comme le serait le fait de prendre la parole. en donnant
du « sens »à ce qui est dit, un sens partagé, codifié. Et c’est bien
pour cela que la musique peut s’accompagner de chant du
fait que le chant n’est pas en soi de la musique. Nous avons
souvent écrit sur le sifflement qui, selon nous, incarne bien
un son qui n’est pas de l’ordre du langage même s’il passe
par la bouche.(cf nos textes sur la somatologie)
Ce qui bloque justement les femmes par rapport
à la composition musicale tiendrait à cette dimension
singulière du « son » dit musical. Le son musical serait ainsi
une émission, une production sans rapport avec le son langagier.
et qui ne ferait pas « sens », dont le sens n’aurait pas été
fixé, établi préalablement. Le son musical serait sauvage.
La bouche est un espace où se cotoient des processus fort
différents, sans parler du fait que c’est à la fois par la
bouche que nous mangeons et buvons et que nous produisons
du son, du langage.
Avec la marginalisation du sifflement au sein de l’activité
musicale, il y a un chaînon manquant qui fausse les
perspectives et qui associe le son à la parole. Et de fait,
il y aurait comme un tabou à produire du son sans parole
intelligible et codifiée.
Dans certaines communutés (Islam), on a coutume de dire que
le sifflement est le fait du diable ; il aurait donc été
à un certain moment diabolisé. Par ailleurs, le sifflement
ne serait toléré que par le biais d’instruments à cordes ou à
vent. Donc à nouveau une distanciation. Il reste que la musique
a quelque chose de subversif plus que tout autre art en ce
qu’elle est un signifiant et non un signifié. L’on peut certes
lui adjoindre du signifié (chanson, opéra) mais dans ce cas on
lui fait dire ce qu’on veut, on l’instrumentalise.On ne peut
d’ailleurs appréhender la dialectique saussurienne qu’en
partant de l’opposition entre musique et parole, si l’on admet
qu’en soi la musique ne comprend pas la parole qui est pour
elle un corps étranger avec lequel elle serait en symbiose/
Quelque part, l’opéra wagnérien prône un mélange, une
confusion des genres et annonce en quelque sorte le déni
du distingo entre le masculin et le féminin, ce dernier étant,
comme on l’a signalé à maintes reprises, marqué par le
primat du langage parlé, qui n’a pas besoin de visuel.
A contrario, selon nous, la musique aurait besoin d’un visuel
d’où cette association que nous avons proposé avec le ballet
et non avec le chant, qui est l’autre option d’alliance qui
marquera la charnière du XIXe et du XXe siècle, donc
en réaction, éventuellement, à l’option de l’opéra. On
retrouve cette problématique dans le passage du cinéma
muet et du cinéma parlant qui annonce déjà une radio
sans images avant que celle-ci ne se change en télévision,
dans la seconde partie du xXe siècle.
On peut penser en tout cas à une musique primitive,
première à base de sifflement et de percussions produites
par le mouvemente des mains et des pieds (ce qui donnera
les instruments à percussion, tambour, timballes, piano etc)
qui sont assurément des moyens de produire du son, ce que
rapppellent les applaudissements à la fin d’un concert, parfois
accompagnés de piétinements et qui ne passent point par
la parole, sinon par quelques « bravos » plus ou moins
tolérés. Ces manifestations muettes (au regard du langage)
nous apparaissant comme un rappel, un rééquilibrage.
Autrement dit, le son ne débouche pas nécessairement sur
la parole et peut être dissocié du langage lequel peut se
limiter à une dimension purement visuelle, idéogrammique.
pouvant subsidiairement être « sonorisée ». On songe aux
civilisations amérindiennes qui ignoraient l’usage de la roue.
Il y a des connexions qui ne se font pas nécessairement.
Une autre humanité aura emprunté une autre voie, du
fait notamment d’un manque de visibilité dans ses conditions
de vie et elle aura inventé la « lecture » orale, c’est celle dont
les femmes seraient issues. On peut aussi penser que
l’invention de la lecture fut le fait des hommes qui
l’asservissaient et durent trouver un mode de communication
pour des non voyants ou des personnes n’étant pas en
situation de voir mais seulement d’entendre (cf la radio)
De nos jours, évidemment, ces distinctions sont largement
brouillées du fait d’une certaine symbiose ayant perpétué
néanmoins ce clivage au niveau de la sexuation, les hommes
relevant d’une humanité et les femmes d’une autre.
Il nous semble néanmoins souhaitable de conscientiser de
tels clivages qui restent essentiels (cf nos travaux à ce sujet)
et l’on comprend notamment ce que peut avoir d’ambivalent
d’hybride, le cinéma parlant puis la télévision en tant qu’espace
de mixité. Cela dit, l’on peut toujours penser que les hommes
et les femmes ne captent pas un film de la même façon, les
uns s’axant plus sur la parole et les autres sur les signes (y
compris d’ailleurs les sous-titres pour les « versions
originales, ce qui relativise l’écoute. On peut ainsi profiter
d’un film (ou d’un opéra) en étant sourd ou malentendant
comme en étant aveugle ou malvoyant.
On ne dira donc pas que la musique est étrangère au son
mais elle le serait à la parole orale, laquelle, en revanche,
exploite ce son et y greffe une parole, en aval (passage du
signifiant au signifé). Nous avons relevé à quel point
les femmes avaient besoin de la présence de la parole comme
si elles vivaient encore dans les ténébres et nous pensons
que les espaces de silence vont se multiplier (comme dans
les bibliothéques et divers lieux de culte, de recueillement,
comme les monastère) à l’instar de ce qui se fait pour le tabac
quand on aura compris à quel point la parole orale est
polluante pour la pensée. On a pu voir à quel point
la technologie des mobiles avait exacerbé la parole
féminine et est voué à générer à terme de la
conflictualité. C’est d’ailleurs autour du rapport à l’oralité
de la parole (non du son vocal) que le différentiel du
masculin et du féminin semble le plus tangible au regard
du vivre ensemble (d’où l’essor sinon de l’homosexualité
du moins de vies séparées où les deux sexes ne se croisent
que ponctuellement. (mariage pour tous)
JHB
18 06 14
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