La société à deux vitesses: produits frais et produits secs
Posté par nofim le 12 juillet 2014
La tentation de l’imitation et l’ère de l’inspiration.
Par Jacques Halbronn
La perspective de la mort nous incite à mettre par écrit notre « création ». C’est particulièrement vrai pour les compositeurs. L’essor des enregistrements a relativisé le passage obligé par la partition mais les ordinateurs seront de plus en plus capables de transcrire ce qui est audio en imprimé. Le théatre se prête également à cette problématique avec le texte à interpréter (voire à traduire en une autre langue), et cela vaut évidemment pour l’opéra, l’opérette et la chanson. Il est vrai que la partition ne saurait être exhaustive et laisse une certaine marge à l’interpréte, au chef d’orchestre. En cet Eté, où tant de partitions et de textes vont être joués et rejoués pour la éniéme fois (on pense au Festival d’Avignon entre autres), cela vaut la peine de s’interroger.
Selon nous, il est peut être temps de passer de l’ère de l’imitation à celle de l’inspiration. Certes, celui qui s’inspire d’une œuvre -et cela peut aller jusqu’au plagiat, au remake- ne rend pas nécessairement un hommage formel à un auteur puisqu’il produit quelque chose qui n’est pas l’œuvre d’origine. Mais n’est-ce pas justement préférable au cas de l’interpréte qui entend se substituer carrément à l’auteur d’une sonate ou d’un drame ? Sur le plan linguistique, le probléme se présente également : une chose est d’apprendre une langue, une autre de lui emprunter des mots. Et il est clair qu’il est plus facile d’identifier une copie conforme à une « importation » vouée à diverses tranformations.
Or, nous pensons que l’humanité a tout intérêt à passer de l’ancienne ère vers la nouvelle et de s’en donner les moyens. Il est clair qu’il n’y a pas de vrai progrés dans la répétition pure et simple du passé et que cela peut aisément tourner à une sorte de décadence où l’on célébre les auteurs des siècles passés et on ignore ou méprise ceux d’aujourd’hui.. On n’en est pas là dans le domaine scientifique et c’est heureux, ce qui n’empêche nullement de percevoir des filiations d’une génération à une autre, d’un siècle à un autre et dans ce cas il s’agit d’exemples à suivre mais non à
Imiter, stricto sensu. La notion d’intégrité de l’œuvre que l’on ne peut modifier doit laisser la place à une approche moins rigide mais exige un talent que n’ont pas les simples exécutants et c’est bien là que le bât blesse quand on entend tant d’interprétes déclarer qu’ils ne sont pas des compositeurs, en nous expliquant qu’ils n’ont pas été « formés » pour cela ! Il y a là comme une usurpation sinon d’identité du moins de qualité, de titre.
Le rôle de l’historien est ici crucial : il lui revient en effet d’établir les filiations avec les implications
économiques et pécuniaires qui en découlent. Nous voyons l’historien du XXIe siècle au cœur de la dynamique commerciale de demain en fixant les royalties, les droits d’auteur, du fait des emprunts non plus globaux mais ponctuels.
Nous avons dans notre post-doctorat sur Giffré de Réchac (2007) et dans nos dossiers parus dans
La Revue Française d’Histoire du Livre (2011) puis sur le site propheties.it (Halbronn’s Researches), montré que les quatrains attribués à Nostradamus avaient été reprise de sa prose. Entendons par là que les signifiants avaient été empruntés mais dans un ordre différent de l’original et dotés d’un signifié se prétant évidemment aux interprétations les plus diverses depuis plus de 400 ans. Le rôle de l’historien consiste ici à signaler l’emprunt par delà la question du sens. Ce qui nous intéresse ici c’est que tant de mots de la prose de Michel de Nostredame se retrouvent dans des quatrains. Et c’est sur cette base que se situe l’enjeu « économique ». Autrement dit, l’emprunteur a toute latitude pour réagencer les mots à sa guise. C’est son droit mais c’est aussi le droit de la société de le taxer dans ce sens. On aura compris qu’en tout état de cause, nous préférons un habile faussaire à un honnête interpréte qui ne « touche » à rien et qui est pour nous le véritable usurpateur, aussi paradoxal que cela puisse sembler.
Le XXIe siècle devrait donc abandonner une conception
indivisible des langues, des textes, des musiques et admettre
que l’on puisse emprunter une idée, une formule, des
élements et pas forcément la totalité. Même si l’on n’emprunte
qu’une partie d’un systéme, il est parfaitement possible de
faire ressortir qu’il y a dette tout comme lorque l’on importe
un produit d’un pays, on n’importe pas tout ce qu’il y a dans
le dit pays. Et encore une fois, nous ne condamnons aucunement
ce type d’emprunt qui peut tout à fait s’agréger à d’autres notions
qui lui sont totalement étrangère. On peut d’ailleurs parler
de citations (quotations). Qand l’anglais emprunte au
français, il « cite » des mots français mais que se passe-t-il
quand il y a plus de citations que de texte d’origine? Peu
importe, du moment que c »est correctement noté et
comptabilisé. Il y a de toute façon une solidarité
profonde entre tous les créateurs et les créations.
En revanche, ceux qui se contentent de récupérer mot
pour mot un texte pour le déclamer ou une partition pour
la rejouer ne nous semblent pas être de leur époque et
font obstacle au progrès. Nous irons même plus loin, il
est possible que ceux qui s’inspirent librrement d’une oeuvre
fassent moins bien que leur modéle mais cela ne saurait
être une excuse pour mettre un point d’honneur à reproduire
à l’identique un modéle, comme tant d’interprétes semblent
considérer que c’est la meilleure chose qu’ils aient à faire.
C’est ainsi que le christianisme a lourdement emprunté
au judaïsme mais il l’a fait non sans une certaine
originalité et l’accomodant avec d’autres notions qui lui
étaient étrangères. Nous ne dirons pas que l’un a trahi
l’autre mais qu’il s’en est inspiré et a ainsi innové. Ce qui
est plus sain que de faire du copier/coller. La langue anglaise
a parfaitement le droit de se founir de mots français, à la
louche, du moment qu’elle reconnnait et régle ce qu’elle
doit.
La valeur principale qu’il convient désormais de mettre en
avant en ce nouveau siècle, c’est celle d’originalité au sens
de quelque chose qui s’origine comme une naissance car
un enfant qui nait doit aussi beaucoup à ses ascendants
mais il n’en est pas moins la continuation et non la
duplication pas plus qu’un chercheur en mathématiques ou
en physique n’émerge ex nihilo.
Ce qui condamne l’interpréte, c’est qu’il n’est pas le premier
à jouer l’oeuvre qu’il joue même s’il la joue forcément
différemment, par la force des choses. Ce qu’il conviendra de
valoriser plus que tout à l’avenir c’est ce qui nait sous
nos yeux, ce qui n’a jamais existé en tant que tel avant ce
jour de la représentation. Même un compositeur qui
rejouerait sa propre oeuvre ne ferait l’affaire. Une fois passée
cette « première fois », on bascule dans la « seconde main » et
cela n’a plus du tout la même valeur qui est celle de l’inoui,
du jamais vu (contre le déjà vu). On sait que l’ingratitude
est un défaut répandu et que cela pose probléme à
certains de remercier pour ce qu’ils ont reçu ou tout simplement
qu’ils ont pris sans demander la permission. Mais il ne
saurait y avoir d’impunité car refuser, nier ce que l’on
doit -Rendons à César ce qu’on doit à César, lit-on dans
les Evangiles- c’est être dans le tout ou rien. comme ces
gens qui croient que parce qu’il ne parle pas le français en
tant que tout indivisible, ils ne doivent rien au français. Il faut
être bien myope pour tenir de pareils propos. C’est nier les
filiations religieuses au sein du monothéisme, nier qu’il
y ait eu emprunt parce que le résultat diffère singulièrement
de la source.
En fait, certains ont intérêt à tout cloisonner: ils nous
disent ou bien c’est la même chose ou bien c’est autre chose.
Mais il y a un juste milieu et cela exige, on l’a dit, tout le
savoir faire des historiens pour expertiser chaque cas qui est
soulevé.
A l’ère de la physique quantique, l’on ne peut plus penser
qu’il existe des ensembles, des entités d’un seul tenant. Tout est flux mais
cela ne signifie pas que l’on puisse pirater le travail d’autrui sans
avoir rien à débourser. Si l’on ne procéde pas à un réaménagement
des valeurs, l’on va dans le mur.
La récente affaire des contrats en dollars de la BNP a mis en
avant le fait que les Etats pouvaient se faire payer pour ce
qui au départ émane d’eux. Nous pensons que chaque Etat
a vocation à recevoir des rentrées liées à son patrimoine
culturel tout autant sinon plus qu’à se faire payer pour les
ressources de son sous sol lesquelles sont bien antérieures
à l’émergence du dit Etat. Mais en même temps, chacun
peut faire ce qu’il veut de ce qu’il a payé, du moment qu’il a
payé. Ces dettes ne concernent pas seulement le présent
car le présent est chargé, lourd du passé et le perpétue sur
tous les plans. Nous ne sous estimons nullement les
difficultés liées à la mise en place de cette nouvelle économie
virtuelle mais nous considérons que cela a une valeur
heuristique sur le plan quantitatif comme sur le plan
qualitatif.
Le mot clef est Fraîcheur par opposition à ce qui est
défréchi. Toute la question de la malbouffe et de ce
que nous appelons, pour notre part, la malculture, tourne
autour cet impératif de la fraîcheur du produit tant sur le
plan diététique que culturel. La fraicheur d’un produit
intellectuel, est comparable à celle des primeurs. Dès lors que
quelque chose est stocké, ce qui est le cas de tout ce que l’on
trouve dans les bibliothèques, les musées – qui sont autant
de « silos »- on renonce à ce principe de fraicheur. On
retrouve cette notion de stockage dans le songe de Pharaon
interprété par Jacob avec les sept années de vaches grasses
suivies de sept années de vaches maigres. Joseph
conseilla au maître de l’Egypte de stocker les récoltes pour
les revendre lors de la disette et ainsi s’approprier les biens
de la population en échange. On imagine qu’il s’agissait
essentiellement de céréales faciles à conserver.
Société à deux vitesses que celle qui se divise entre
les populations qui vivent de produits frais et les
autres qui se nourrissent de produits « secs » et l’on pourrait
dire de produits vivants (vifs) et de produits morts. Or, de nos
jours, si cette dualité est toujours active, elle nous apparait
largement déséquilibrée au profit de la seconde option et
ce dans la plupart des domaines. Une majorité de la
population se comporte comme ayant renoncé à la fraîcheur
avec des produits réchauffés tant sur le plan alimentaire
que culturel, phénoméne aggravé par la technologie qui
repasse en boucle les mêmes programmes, inlassablement.
C’est le signe d’une civilisation décadente..
JHB
12 07 14
.PS Pour la petite histoire, on signalera que notre père, Pierre Halbronn (1905-1070), en se qualité de sous-directeur puis de directeur adjoint de l’ONIC (Office National Interprofessionnel des Céréales) était très concerné par les silos à blé et que très jeune nous étions abonné au journal « Le Petit Meunier »
Publié dans Culture, ECONOMIE, FEMMES, HISTOIRE, LINGUISTIQUE, MUSIQUE, PSYCHOLOGIE, RELIGION, SOCIETE | Pas de Commentaire »