La farce des besoins et des dépenses. Vers une nouvellle éthique économique
Posté par nofim le 22 janvier 2014
L’économie : des faux besoins aux fausses « dépenses »
Par Jacques Halbronn
Selon nous les rapports économiques sont fondés sur deux illusions. La première est celle de besoins factices et la seconde sur l’idée selon laquelle il est des choses dont nous pourrions nous passer. Tels seraient selon nous les termes de tout échange. Faux besoin contre fausse dépense, en prenant le terme dans le sens de quelque chose qui ne nous serait pas indispensable.
Le « marche » naitrait du jour où une personne en persuade une autre (est-ce là le serpent de la Genèse ?) qu’il y a des choses qu’elle ne peut faire par elle-même qui exige qu’elle fasse appel à des aides, à des services mais aussi qu’il y a des choses qu’elle a en trop, en surplus. Par conséquent, qu’elle se débarrasse de ce dont elle n’a pas ou plus vraiment besoin en échange de ce qui lui manque, lui fait défaut, qu’elle ne peut réaliser correctement par elle-même. Est-ce là un marché de dupes ?
Avec le recul de quelques millénaires, que penser d’un tel agencement. Et faut-il le perpétuer indéfiniment ? Sur le premier point, il nous apparait que l’on se crée souvent de faux besoins, c’est-à-dire de faux manques, à commencer par le fait de se persuader que l’on ne peut faire les choses par soi-même, ce qui est l’amorce d’un engrenage. Plus les gens sont âgés et plus l’on est tenté de leur venir en aide. Or, sur le second point, plus ils sont âgés et plus il est aisé de les convaincre qu’il est des choses, en revanche, dont ils pourraient fort bien se passer. C’est dire que l’on joue sur deux tableaux opposés : on invente des besoins et on invente aussi des dépenses possibles, c’est-à-dire des choses qui nous embarrassent plus qu’autre chose. On peut penser que ce type de marché est né avec le vieillissement des populations et d’ailleurs l’on sait à quel point avec l’âge, l’on est vulnérable à toutes sortes d’abus (de faiblesse).
Que ce modèle au départ très spécifique lié au vieillissement soit devenu un modèle universel est significatif du fait que bien des procédés visant des cas spécifiques et notamment des handicaps de toutes sortes ont été à l’origine de toutes sortes d’inventions, de procédés tous plus ingénieux les uns que les autres. C’est ce que nous appelons le nivellement par le bas. Ce qui est en marge tendrait à glisser vers le centre.
Le verbe dépenser est intéressant car on a fini par en perdre le sens premier. Dépenser, on l’a dit, est le contraire d’indispensable. Ce que je ne juge pas indispensable, je peux le dépenser, m’en dispenser. Et ce dont je peux me dispenser me permet de me procurer ce dont je crois avoir besoin et qui me manque. On crée du vide et du plein, tel est le moteur de l’économie.
Etre « riche », c’est en fait avoir quelque chose à « dépenser », et donc à échanger. Or, on peut croire sur le moment avoir des biens à dépenser et s’apercevoir ensuite que l’on n’aurait pas dû s’en séparer au regard de ce qui se présentera par la suite. On aura été ainsi imprévoyant. De nos jours, le mot dépense est directement lié à ce qu’on achète mais on ne peut acheter que si l’on a quelque chose à vendre, à donner en échange. Dépenser, c’est donc échanger ce que l’on a (en trop, du moins sur le moment) contre ce que l’on n’a pas ou que l’on croit ne pas avoir.
Ce que l’on se procure du fait d’un manque ressenti s’apparente à une prothèse. Tous nos besoins de choses que nous n’avons pas débouchent sur des prothèses si ce n’est que dans bien des cas nous avons ce que nous croyons ne pas avoir comme si l’on nous greffait un bras artificiel sur un bras qui est en fort bon état mais que l’on ne sait pas utiliser pleinement..
Logiquement, nous devrions avoir ni à prendre ni à donner à l’extérieur. Un homme complet n’a rien en trop et il ne lui manque rien. Mais dans ce cas, quelle économie ? Quel monde serait le nôtre si les gens n’avaient besoin de rien d’autre que ce qu’ils ont et n’auraient rien en surplus dont ils pourraient se passer. Qu’est c’est que cette chose que nous aurions mais qui ne nous est pas « indispensable ? Dans un monde d’êtres libres et complets, l’échange ne serait plus nécessaire. On n’a rien à prendre et rien dont on pourrait se délester, se dispenser.
Le jour où chacun refusera de se faire aider et où chacun considérera que tout ce qu’il a lui est nécessaire, il n’y aura plus d’échanges. Le seul domaine où cet échange semble incontournable touche à l’anatomique. Un homme ne peut devenir une femme – vouloir une femme, c’est mettre le doigt dans l’engrenage- et l’on peut penser qu’un autre ressort de l’économie a dû être le mariage et les négociations à son sujet entre les familles. Que donner en échange d’une femme ? De quoi peut-on se défaire pour obtenir cette femme ? Celui qui n’a rien à « perdre », rien à dépenser ne pourra se procurer ce qu’il n’a pas ou croit ne pas avoir. Dépenser, c’est déterminer ce que l’on peut « jeter » sans dommage, ce dont on peut se débarrasser, ce qu’il sera possible de vendre. Il est clair que moins on aura de besoins, moins on aura de choses à céder. Il y a là d’ailleurs un cercle vicieux car je me dépouille d’une chose que j’ai en échange de services dont je crois, à tort ou à raison, qu’ils me sont nécessaires et dont je me persuade que je ne peux les satisfaire par moi-même mais bien en passant par autrui qui, répétons-le, me convainc à la fois que je n’ai pas assez et que j’ai de trop de certaines choses
Est-ce à dire que si je persuade quelqu’un de ce qu’il a en trop, ce que j’obtiendrai de lui correspond à mes besoins ? Pas nécessairement. Il importe alors que ce que j’aurais ainsi obtenu, je persuade quelqu’un qu’il en a vraiment besoin en échange de quelque chose qu’il a mais dont je lui monterai qu’il n’en a pas besoin. Il faut créer du vide (dans le trop plein) c’est à dire de la dépense pour que l’échange pusse se faire. A la fois un sentiment de vide à remplir et un sentiment de vide à créer comme l’on ferait une saignée à quelqu’un. L’échange suppose une certaine forme de saignée en échange d’un service ou d’un bien qui viendront en quelque sorte compenser ce vide par une sorte de « farce ». On se vide pour faire de la place pour que l’on puisse se remplir. Mais on conçoit que l’on se prive de quelque chose qui est peut être vital en échange de quelque chose dont que l’on ne devrait pas avoir besoin de se procurer. En ce sens, on peut parler d’une farce, dans tous les sens du terme.
JHB
22 01 14
Publié dans ECONOMIE, FEMMES, HISTOIRE, POLITIQUE, RELIGION, SOCIETE | Pas de Commentaire »