Noms propres, noms communs, une nouvelle approche linguistique
Posté par nofim le 17 mars 2014
Repenser la dualité en linguistique.
Par Jacques Halbronn
Nous avons depuis longtemps exprimé l’avis selon lequel une langue comportait au départ deux types de mots, les noms communs et les noms propres. Et ce qui nous intéresse ici ‘est de montrer les intrications systémiques entre ces deux catégories… Quelque part, cela recoupe la polarité signifiant/signifié.
Sous le terme classique de « noms propres », nous mettrons de façon extensive tout ce qui sert à désigner un objet « par son nom » (J’appelle un chat un chat). Le cas du renard est intéressant puisque c’était au départ le « nom » d’un certain goupil (l’équivalent de Wolf dans les langues germaniques) dans le Roman de Renart. En général, par nom propre, on entend exclusivement un prénom, un nom de famille (patronyme), un nom de lieu. Mais il y a bien des cas où le nom d’une marque finit par désigner un objet générique– (Frigidaire, fermeture Eclair etc.).
En ce qui concerne les « noms communs », nous avons montré dans de précédentes études qu’ils s’organisaient autour d’un nombre limité de radicaux et d’affixes de façon non pas ponctuelle mais séquentielle. En français, nous avons recensé des séries autour de « prendre », « mettre » etc.
On observe donc deux modes d’organisation forte distincte. D’un côté une nébuleuse de « noms propres » qui ne font sens que par rapport au monde des objets, des personnes, des lieux qu’ils désignent et de l’autre un dispositif en quelque sorte géométrique autour d’un nombre très restreint de « mots clef », que l’on pourrait comparer sur le plan sociologique à des « leaders ».
Il est clair qu’alors que l’ensemble des « noms communs » reste à peu près immuable, au cours des siècles, celui des noms propres évolue constamment pour des raisons aisées à deviner. On aurait donc tort de mélanger ces deux séries pour constituer un ensemble unique alors qu’épistémologiquement, les dites catégories suivent des voies fort différentes.
En ce qui concerne la distinction saussurienne entre signifiants et signifiés, l’on peut se demander si cette distinction recoupe celle qui nous occupe ici présentement. On serait tenté de dire que les noms propres sont des signifiés et les noms communs des signifiants. Le mot « commun » indique bien que ces termes sont d’usage courant et constant et se prêtent à toutes sortes de généralités tandis que le mot « propre » semble sensiblement plus restrictif (le Dictionnaire Larousse distinguait ces deux catégories). La nouveauté que nous introduisons concerne les noms d’objets que nous faisons passer des noms communs vers les noms propres. Souvent les noms propres ne changent pas d’une langue à une autre ou de façon assez superficielle, c’est notamment le cas pour les noms de villes. On dit Paris dans la plupart des langues alors que tel « nom commun » sera réservé à une langue donnée, même s’il est possible de le traduire d’une langue dans une autre, ce qui ne fait guère sens pour un nom propre. C’est ainsi que bien des objets nouveaux ont le même nom ‘ »propre » dans les langues les plus diverses.. ;
Normalement, une langue peut se permettre d’importer des noms propres ne serait-ce que du fait de la nouveauté des objets, des personnes, des lieux alors qu’un emprunt à un nom commun, au sens où nous l’entendons ici, fait plus problème. On se demandera notamment pourquoi tant de noms communs du français ont pu passer en d’autres langues, notamment l’anglais ou l’allemand ; Il y a là quelque dysfonctionnement par rapport à une normalité que nous établissons et qui veut qu’une certaine famille de langues doit veiller à l’intégrité de ses noms communs tout en testant très ouverte à propos des noms propres qui y transitent. Que l’on songe au nombre de prénoms arabes qui sont aujourd’hui portés en France et qui ne sont pas à proprement parler « du français » tout en existant en tant que noms propres au sein de la société française, de facto.
Toute discipline véhicule ainsi des noms propres qui sont en principe interchangeables. On peut décider de désigner autrement un objet (un tourne disque devient un éléctrophone, un « lecteur » à, une personne (Mustapha Kemal devient Atatürk), un lieu (passage de Lutèce à paris). En astronomie, on appelle les planètes de noms de dieux de la mythologie latine, (Uranus, Neptune, Pluton etc.) et l’on découpe l’écliptique en douze « signes » zodiacaux. A contrario, le mot planéte ou étoile est un « nom commun ». Si dans une famille, il nait dix enfants faudra bien les distinguer par des noms propres différents. On n’imagine pas deux frères portant le même prénom. On peut craindre une inflation de noms propres et guère du côté des noms communs.
En conclusion, on aura compris que la frontière entre noms propres et noms communs doit être révisée et que cette incurie n’est probablement pas sans conséquence épistémologique. Il est temps notamment de rechercher beaucoup plus sérieusement et rigoureusement comment sont organisés les noms « communs » dans une langue une fois que l’on a évacué de cette catégorie tous les noms d’objets (cela inclus les végétaux, les animaux, les minéraux) et que l’on n’a plus à se consacrer que sur les verbes et leurs dérivés (conjugaison, déclinaisons, morphologie etc.). Certes, ces noms d’objets obéissent aux mêmes règles grammaticales que les noms communs ; On pourrait certes nous objecter que les noms d’objets se mettent ai pluriel comme les noms communs alors que les noms propres restent en règle générale au singulier. Mais les gens d’une même famille correspondent à un pluriel (ex Les Dupont, les Martins) et certains prénoms sont portés par un grand nombre de personnes. Le critère du singulier et du pluriel ne nous semble pas vraiment déterminant même si cela explique probablement pourquoi le classement antérieur au notre a suivi un autre principe ;
Si l’on se place au niveau de l’emprunt linguistique, l’on ne saurait, en tout état de cause, mettre sur le même pied les noms propres et les noms communs. C’est ainsi qu’en France, une grande partie de la population porte des noms (allemand, italien (corse), bretons, arabes) qui n’appartiennent pas stricto sensu à la langue française et qui peuvent correspondre à des noms communs à l’étranger, devant « propres » en France. Si l’on veut recenser les mots étrangers dans une langue, il sera souhaitable d’œuvrer selon ce double critère révisé que nous avons proposé. Le degré de tolérance par rapport aux emprunts de noms propres est beaucoup plus élevé que par rapport à ce qui touche aux noms communs. Rappelons que les noms communs constituent le noyau dur d’une langue et en quelque sorte pérenne – ces noms communs seraient compris par des générations très éloignées les unes des autres- alors que les noms propres sont extrêmement variables et de toute façon tendent à se renouveler, ce qui crée un fossé entre générations. D’ailleurs quand on apprend une langue, on apprend surtout ce « noyau » de noms communs alors que le seul fait de passer d’une ville à une autre d’un lieu à un autre exige l’acquisition de nouveaux noms propres, comme un Parisien qui irait habiter Bordeaux, chaque population locale étant familière à des noms propre distincts. Par exemple, tous les Parisiens se repèrent par le nom de stations de métro qui ne diront rien à un Lyonnais, un Bruxellois ou à un Marseillais et vice versa. Dans telle corporation, on ne peut pas ne pas connaitre telle ou telle personne qui sera totalement inconnue dans telle autre. Mais par ailleurs, une fois que l’on fait abstraction des noms proptes, les Francophones parlent une même langue du point de vue de ce que nous appelons les « noms communs » et ce, tous âges confondus. Mais dès que l’on entre dans la sphère privée, les noms propres font la différence, ne serait-ce qu’au sein d’une famille. En se mariant, la plupart des femmes changeront de « nom propre » et les parents peuvent nommer leurs enfants comme ils le désirent, sans avoir à respecter de consignes communes.
JHB
17 03 14
Publié dans HISTOIRE, LINGUISTIQUE, POLITIQUE, PSYCHOLOGIE, SOCIETE | Pas de Commentaire »