La chronologie interne à l’oeuvre d’art
Posté par nofim le 6 novembre 2013
Etudes sur le symbolisme. Chronologie externe et chronologie interne.
Par Jacques Halbronn
L’astrologie semble avoir perdu le fil du symbolisme qu’elle véhicule entendons par là qu’elle a bien du mal à circonscrire la chronologie interne par opposition à la chronologie externe.
Ce que nous entendons par chronologie externe est la recension de ses manifestations successives, selon un modèle plus ou moins invariable quant à son contenu. En revanche, par chronologie interne nous considérerons l’agencement de l’œuvre en tant que telle, sa diachronie structurelle en quelque sorte, selon quel ordre est-elle organisée. Dans les deux cas, la chronologie peut avoir été perturbée.
La question de la chronologie interne nous parait avoir été sensiblement moins abordée que celle de la chronologie externe, tant il est vrai que nous ne cherchons pas nécessairement une chronologie sauf si celle-ci est clairement signalée et annoncée comme dans le cas d’un récit, d’un roman, d’un poème ou d’une musique. C’est dans le domaine pictural que la notion de chronologie interne est la plus obscure. Tant et si bien que l’on ne se croit nullement invité ni obligé à mettre celle-ci en évidence et ce d’autant qu’elle ne s’y trouve pas forcément. Dire que tout tableau comporte une chronologie interne faisant pendant à une chronologie externe semblerait singulièrement exagéré voire inapproprié.
Cependant, nous ne sommes pas loin de penser que la fonction initiale du tableau est d’agencer une série d’images, selon un certain ordre, ce que nous rendent souvent les triptyques. Le tableau serait un aide-mémoire, un mode d’emploi, un processus à suivre de bout en bout, chaque chose en son temps.
Durant ces derniers siècles, la quête du sens géographique du tableau a été occultée au profit du sens en tant que signification, toute géographie impliquant du temps pour la parcourir à l’instar d’une carte routière, l’idée d’ubiquité étant l’exception qui confirme la règle. Mais Auguste Rodin, le sculpteur a développé des thèses qui nous rappellent que l’on peut représenter le mouvement à des stades successifs par la peinture, ce que ne permet pas le cliché photographique. (cf. L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Paris, Grasset, 1911 (pp. 69-116). C’est ainsi que dans le célèbre tableau de Watteau, sous la Régence, l’Embarquement pour Cythère, Rodin y voit une représentation des trois étapes successives de la séduction, exprimées selon les principes de la simultanéité médiévale, grâce aux trois couples du premier plan2. Le tableau pourrait alors se lire ainsi, de droite à gauche : Rodin en donne la description suivante :
« Ce qu’on aperçoit d’abord (…) est un groupe composé d’une jeune femme et de son adorateur. L’homme est revêtu d’une pèlerine d’amour sur laquelle est brodé un cœur percé, gracieux insigne du voyage qu’il voudrait entreprendre. (…) elle lui oppose une indifférence peut-être feinte (…) le bâton du pèlerin et le bréviaire d’amour gisent encore à terre. À gauche du groupe dont je viens de parler est un autre couple. L’amante accepte la main qu’on lui tend pour l’aider à se lever. (…) Plus loin, troisième scène. L’homme prend sa maîtresse par la taille pour l’entraîner. (…) Maintenant les amants descendent sur la grève, et, (…) ils se poussent en riant vers la barque ; les hommes n’ont même plus besoin d’user de prières : ce sont les femmes qui s’accrochent à eux. Enfin les pèlerins font monter leurs amies dans la nacelle qui balance sur l’eau sa chimère dorée, ses festons de fleurs et ses rouges écharpes de soie. Les nautoniers appuyés sur leurs rames sont prêts à s’en servir. Et, déjà portés par la brise, de petits Amours voltigeant guident les voyageurs vers l’île d’azur qui émerge à l’horizon»
On a donc là un bel exemple de ce que nous appelons la « chronologie interne » d’un document. Si l’on étudie les Très Riches Heures du Duc de Berry (Renaissance 1402-1610 : deux siècles de splendeur dans l’Art en Europe Stefano Zuffi, Ed Gründ, 2003, pp. 24-27), on est en présence de douze tableaux qui se succèdent selon une chronologie qui suit de près le cycle des saisons tel que les sociétés humaines la vivaient, au début du XVe siècle. Selon nous, le symbolisme zodiacal pourrait en grande partie être constitué de fragments d’un tel tableau à douze volets. On notera cependant que la plupart des astrologues seraient bien incapables de rattacher, au niveau des images, de l’iconographie les signes et les mois. Ils se contentent d’affirmer qu’il y a un rapport mais cela ne va pas plus loin. Parfois, même, ils croient que c’est l’iconographie des mois qui serait inspirée de celle des signes zodiacaux. Se pose en effet un problème de chronologie externe du fait que l’on n’a pas retrouvé, semble-t-il, une iconographie des mois antérieure à celle du zodiaque. Mais l’on sait à quel point ce qui est conservé du passé est lacunaire et doit être reconstitué à partir d’éléments plus tardifs.
Mais ce sur quoi nous entendons insister c’est sur le fait que nombre de documents doivent être interprétés dans une perspective de chronologie interne, c’est-à-dire en mouvement, comme le proposait Rodin en 1911. On pourrait parler d’un structuralisme diachronique, d’une approche archéologique, avec la mise en évidence de strates successives. L’astrologie n’est pas, contrairement, à ce qu’affirment tant d’astrologues un savoir intemporel, dont toutes les composantes (hormis et encore les planètes transsaturniennes) seraient contemporaines et formeraient système mais bien un ensemble qui s’est formé par états successifs (chronologie externe) d’une part et de l’autre dont les différentes strates sont traversées par une certaine cyclicité. (Chronologie interne)
Il ne suffit pas notamment d’affirmer que le zodiaque est cyclique mais de prendre conscience que par le fait même, il se déploie dans le temps et cela vaut également pour le cycle des 12 maisons (en 24 heures) Où voulons-nous en venir ? A la constatation que l’interprétation du thème natal a connu une évolution (qui relève de la chronologie externe) et qui affecte la perception même de la structure zodiacale (chronologie interne) et donc du thème natal. Autrement dit, à un moment donné, l’astrologue ne peut considérer qu’un fragment du thème et non la totalité du thème, à savoir la partie du thème qui est actualisée alors. Or, force est de constater que l’habitude, la coutume, se sont prises de présenter le thème natal de façon intemporelle comme une structure qui ne serait plus en mouvement.
Certes, nous savons que les astrologues par le jeu notamment des transits s’arrêtent, ç un moment donné, sur les secteurs de l’horoscope qui sont « aspectés » par les planètes concernées. Mais cela ne les empêche pas pour autant de se livrer à l’exercice obligé du portrait astrologique qui mobilise la totalité des planètes, du zodiaque, des maisons et c’est bien là que le bât blesse car cela ne respecte pas la chronologie interne du dispositif.
Il existe des « roues » astrologiques qui sont désormais assez bien connues (une des premières attestations au XXe siècle figure, selon nous, sur la page de titre de l’Almanach astrologique, en 1931 Ière année, Paris, Chacornac, à partir d’une figure d’Erhard Schön 1515). On y trouve, au sein d’un même document, les représentations des maisons, des signes et des planètes en cercles concentriques (cf. Recherches sur l’Histoire de l’astrologie et du Tarot, avec l’Astrologie du Livre de Toth, Ed Trédaniel-La Grande Conjonction, 1993, pp. 48 et seq). L’idée de lire un « thème » comme représentant ce qui se passe dans la tête d’une personne à tout moment est une aberration. Il est essentiel de situer ce qui va activer et ce qui sera désactivé à un moment donné. Or, il ne nous semble pas que les astrologues indiquent ce qui est « désactivé » notamment lors de la consultation ou quand ce qui est désactivé sera réactivé et vice versa, selon une approche dialectique capitale : on ne vit pas au même moment l’Hiver et l’Eté, le Midi et le Minuit. Comment expliquer une telle déperdition de sens, d’information ? Nous pensons que cela s’expliquerait par un phénomène beaucoup plus large à savoir le fait que les homme ont perdu la faculté de capter le mouvement dans les arts plastiques, comme l’a montré Rodin, il y a cent ans, pour la peinture comme pour la sculpture et ce depuis des siècles. Georges Colleuil a préconisé un référentiel de naissance (Tarot L’Ile au trésor) à partir de correspondances tarologiques mais c’est l’idée même de thème natal qui fait problème dès lors que le thème n’est pas dynamisé et activé pour une certaine durée. En réalité, nous pensons même que l’on peut totalement se passer du thème natal individuel et considérer les choses du point de vue d’un cycle universel qui vaudrait pour tout le monde, phase après phase, d’autres facteurs extra-astrologiques venant apporter toute la diversité nécessaire….Pour notre part, tant qu’à faire, s’il faut s’intéresser à la divination, nous pensons que la meilleure formule reste encore le « tirage » ponctuel et certainement pas de se référer à un « thème » quel qu’il soit. Ce tirage ponctuel peut heureusement venir compléter le « sondage » astrologique universel en permettant une contextualisation et une individualisation. C’est cette dimension de fixité qui nous apparait comme le problème numéro un de l’astrologie actuelle. En ce qui concerne les tempéraments, la caractérologie, on peut tout à fait y recourir à condition toutefois de ne pas les déterminer et les attribuer au vu du thème natal, mais comme un paramètre qui peut éventuellement jouer quelque rôle. Ce qui nous semble le plus insupportable, c’est le panachage des signes, des planètes, des maisons alors qu’à un moment donné, seul une partie du symbolisme doit entrer en ligne de compte, sur la base d’une chronologie interne du système.
JHB
6. 11 13
Publié dans ASTROLOGIE, PSYCHOLOGIE, SOCIETE | Pas de Commentaire »